« Ceux qui ont peur du passé ont quelque chose à cacher »
Neuf ans après la commission du massacre du 28 septembre, le procès tarde encore à être organisé alors qu’il pourrait ouvrir une chance à la Guinée de se réconcilier avec son passé.
Pourtant, la réconciliation dont il s’agit découle de la justice transitionnelle avec l’institution d’une commission dite vérité et réconciliation nationale. Malheureusement, l’on note à ce niveau un blocus administratif puisque l’avant projet de loi portant création, organisation, composition, fonctionnement et attributions de cette dernière continue encore à dormir dans les tiroirs.
Lisez cet entretien exclusif que votre quotidien en ligne a accordé à un activiste des droits de l’Homme.
Affiches guinéennes : Bonjour Monsieur
Interlocuteur : Bonjour
Présentez vous à nos lecteurs
Je me nomme Boussouriou Diallo, militant des droits de l’Homme, président de l’ONG COJEDEV-Guinée (Consortium des Associations des jeunes pour la Défense des Victimes de Violences).
La réconciliation nationale est-elle mise à l’écart par le gouvernement après l’adoption de l’avant projet de loi portant création d’une commission spéciale à cet effet ?
C’est quelque chose que j’aime souvent parler avec un cœur serré cette question de réconciliation nationale qui, pour moi faisait partie des priorités de l’actuel régime. Parce qu’il vous souviendra en 2010 quand Alpha Condé a prêté serment devant le peuple de Guinée, il a promis d’être le Mandela de la Guinée, c’est lui va réconcilier les guinéens les amenant à coexister et construire une nation à l’image de la nation arc-en-ciel. Il a fait quelques efforts en mettant en place une commission provisoire qui titubé pendant une période de quatre (4) ans avant de rendre public un rapport avec les partenaires techniques et financiers. Ce rapport, il a été déposé. Après le président en 2016 a invité à l’occasion du 02 octobre son premier ministre à l’époque M amady Youla de rendre opérationnelle les recommandations contenues dans le rapport. Et parmi ces recommandations, il y avait d’abord l’adoption d’une loi qui devrait définir le mode de fonctionnement de la commission dite vérité et réconciliation nationale. Parce que chaque pays a son chemin à lui pour aller vers la réconciliation. C’était à la Guinée de voir quel mécanisme utilisé pour y arriver.
Donc, il ya eu un avant projet de loi qui a été établi en 2017 lors d’un atelier auquel ont pris part la société civile, le gouvernement et d’autres acteurs. Nous avons adopté l’avant projet de loi qui a été transmis à qui de droit. Derrière, nous avons fait de notre mieux en tant qu’acteurs de la société civile.
Personnellement, je suis parti rencontrer à plusieurs reprises le cabinet de la primature. Et puis, je leur ai envoyé un courrier, j’ai mobilisé des acteurs de la société civile et des groupes de victimes y compris des ONG des droits de l’Homme pour qu’on constitue une coalition afin d’aider le cabinet du premier ministre à faire avancer le projet de loi. Mais depuis cette date, c’est un blocus total, les choses ne bougent pas. Nous avons cherché à comprendre, malheureusement pas de réponse.
Est-ce que les efforts consentis dans l’atelier de validation de l’avant-projet de loi ne sont pas une peine perdue ?
Je ne crois pas que ce soit une peine perdue. Parce que nous essayons toujours de positiver et d’optimiser notre combat.
Nous estimons que ce processus doit aller au bout pour aider les victimes qui ont droit à la vérité et pour permettre à la nouvelle génération d’avoir la mémoire historique. Quand un pays n’a pas de mémoire, il n’a pas de repère. Nous ne pouvons continuer à piloter à vue et à répéter les mêmes erreurs des gouvernants passés. Donc, c’est un élément très important dans un processus démocratique.
Bien qu’il y ait des blocus, nous nous essayons de faire de notre mieux pour faire en sorte que le processus puisse aller au-delà.
Je peux être d’accord avec vous en ce sens que le temps gâché pendant cette période, aurait pu nous permettre au moins d’envoyer ce projet de loi à l’Assemblée Nationale.
Nous sommes vers la fin du mandat de l’Assemblée nationale et ce projet n’est pas encore arrivé au parlement. Or, les partenaires étaient prêts à financier tout le processus par rapport à la mise en place de la commission qui aura un mandat de quatre (4) ans et qui va couvrir l’ensemble du pays pour entendre les guinéens. Mais jusqu’à présent, le projet n’est pas arrivé à l’Assemblée. Lorsqu’il est question d’inscrire les projets de lois à l’ordre du jour de la session des lois, cela devrait être une priorité.
C’est vrai si le gouvernement bloquait quelque chose au niveau du cabinet de la primature, il ya quand même des citoyens qui devraient se lever parmi lesquels des ministres et des députés qui ont été directement victimes. Vous avez Boubacar Barry, proche du président de la République, ministre du commerce qui a perdu son père au camp Boiro. Vous avez Fodé Maréga, député uninominal de l’UFDG qui est aussi victime des événements du Camp Boiro. Vous avez des victimes du 28 septembre dans ce gouvernement actuel comme Aboubacar Sylla, Mouctar Diallo. Vous avez les victimes de la répression de juillet 1985 parmi lesquelles il ya l’actuel ministre des finances Mamady Camara.Vous voyez donc quelle est la mentalité que développe le guinéen face à sa propre situation.
A qui faut-il imputer la responsabilité du blocage de l’avant projet de loi ?
Il ne faut pas passer par quatre chemins. Il ya le président de la République. Il est comptable de tout ce qui se fait. C’est lui qui a confié le dossier au cabinet de la primature. Pour faire passer un projet de loi à l’Assemblée Nationale, c’est quand même quelque chose de simple. Mais je vous dis une fois encore, il n’ya pas de volonté politique.
Ce qui manque à la Guinée c’est le courage d’affronter son passé. Ceux qui ont peur du passé ont quelque chose à cacher à la jeune génération. Et c’est un crime.
Pensez-vous que la réconciliation nationale peut être possible sans l’organisation du procès du massacre du 28 septembre?
Les deux peuvent aller concomitamment .Vous savez que la réconciliation nationale ne signifie pas l’absence de justice ou un déni de justice. Au Rwanda, ils l’ont fait.
En Guinée, le cas du 28 septembre est un crime contre l’humanité même si après les juges guinéens se sont arrangés avec des calculs à eux pour effacer le caractère criminel des événements.
Après neuf (9) ans sans justice, les victimes continuent de perdre l’espoir. L’orphelin en 2009 qui avait six (6) ans quand il a entendu que son père a disparu le 28 septembre, aujourd’hui il a quatorze (14) ans. Voilà la mémoire d’un enfant qui s’est construite dans le vide de n’est pas avoir son papa à côté. Donc, l’Etat guinéen doit réparer ce tord fait à cet enfant.
La femme veuve aussi qui a perdu son mari qui porte aujourd’hui le fardeau de la famille dans un contexte difficile, elle a le droit de savoir ce qui s’est passé et d’être prise en charge.
C’est un double tord qu’on est entrain de faire aux victimes du massacre du 28 septembre.
Objectivement, est ce qu’il ya lieu de constater quelques avancées dans ce dossier avec la création d’un comité de pilotage du procès ?
C’est le ministre de la justice qui préside le comité de pilotage qui s’est réuni une seule fois après sa création. Mais il faut dire que la Guinée est ce pays qui aime inventer des choses inimaginable. L’implication de l’Union Européenne et des nations unies dans le comité de pilotage est faite à dessin pour aider avoir de moyens financiers. Ce que les partenaires peuvent faire c’est d’apporter leur contribution. Mais il revient encore à la Guinée d’impulser le processus au niveau national.
J’ai toujours dit dans les medias que Me Cheick SACKO n’est pas sérieux et c’est quelqu’un sur lequel les victimes ne doivent pas compter. Parce qu’il passe le clair de son temps à faire des promesses. Or, la justice ne se construit pas par la promesse. En plus il n’est pas juge. L’impression qu’il donne au public, c’est lui qui fait avancer les choses.
Mais il est l’organe de tutelle du fonctionnement des juridictions ?
Mais l’organe politique. Il gère le dossier au niveau politique et non juridique. Actuellement, le dossier se trouve à la Cour suprême où les différentes parties s’attaquent. Il ya des pourvois qui sont envoyés dans cette juridiction. Sur les quatorze (14) inculpés, il ya deux (2) qui ont bénéficié d’un non-lieu. C’est aussi ce qui est choquant. Sur une masse importante de présumés auteurs, ils n’ont réussi qu’à avoir quatrorze (14) et sur ces quatorze (14) on enlève encore deux (2) notamment le général Mathurin Bangoura et Bienvenue Lama qui était le chef des miliciens de DADIS à Kalèya. Les victimes aujourd’hui ne croiront plus aux discours.
Le comité de pilotage demande 78 milliards GNF sans désigner le lieu de la tenue du procès. Il n’ya pas de visibilité pour donner espoir. Je ne crois pas à un procès sous Alpha Condé dans le cadre du 28 septembre.
Vos appels ?
Je demande au gouvernement d’arrêter de faire le faux semblant. Je demande également les complices de regarder la Guinée dans dix (10) ans ou vingt (20) ans.
Je demande aux victimes de ne pas abandonner et d’empêcher les bourreaux de sommeiller.
Je demande également à la société guinéenne d’être compatissante à l’endroit des victimes.
J’appelle aussi la CPI de faire en sorte que ce dossier soit jugé à son niveau. Parce que la Guinée a roulé la CPI pendant neuf (9) ans. Et c’est trop, c’est trop.
Merci Monsieur Diallo
Merci à vous aussi.
Entretien réalisé et décrypté par Thierno Amadou Oury BALDE
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