Dans sa main droite, elle tient un petit cadre noir avec la photo de son mari. Par moments, elle caresse le verre avec le revers de son index. À sa gauche, l’un de ses fils reste impassible, intériorisant la douleur. Sur sa droite, le second encaisse comme un coup de cutter dans le cœur les déclarations maladroites du prévenu.

Au bout du banc se trouve la petite dernière, tout juste majeure. Elle déchire machinalement son mouchoir de ses longs ongles violets. Depuis bientôt neuf mois, cette famille soutenue par de nombreux proches à l’audience du 28 septembre dernier est privée du pilier de la famille. Fabien avait 50 ans, était originaire du Maine-et-Loire et travaillait en tant que formateur sécurité à la SNCF.

Vu la taille de ses enfants, on l’imagine bien bâti. « Une personne généreuse, attentionnée, et un papa irréprochable sur lequel toute la famille pouvait s’appuyer », complète sa femme à la barre, en préambule d’une intervention à faire flancher les plus imperméables. Le regard de Fabien, les automobilistes qui empruntent le boulevard de la prairie de Mauves, à l’Est de Nantes, l’ont peut être déjà croisé, figé sur une photo à côté d’un bouquet de fleur.

C’est à cet endroit que le drame s’est noué, le lundi 6 janvier. Il était 17 h 30 et la circulation était dense, comme souvent. Au guidon de sa Honda 125 cm3 de couleur bleue, roulant avec la prudence que tous décrivent, entre 20 et 40 km/h estimeront les experts, Fabien remontait la file de voitures sur le côté gauche de la chaussée.

Il portait sa chasuble fluo du boulot. Quand l’impatient conducteur d’une Clio a manœuvré au niveau de l’axe central, Fabien a percuté l’arrière du véhicule et est passé par dessus.

« Je voyais que tout le monde faisait demi-tour, j’ai fait pareil mais j’aurais pas dû, c’est l’erreur de ma vie », explique le conducteur, inconnu de la justice.

De petite taille, bien portant, tatoué sur l’avant-bras gauche, il porte une chemise blanche et un pantalon de costume, noir comme ses Air max. A-t-il eu le temps d’apercevoir le motard, se demande la présidente.

« Je croyais qu’il était plus loin et quand il y a eu le choc, pour moi, c’était une voiture qui m’était rentré dedans », répond l’intéressé.

Ce père de famille de 38 ans allait déposer un collègue avant de regagner son domicile, à Carquefou. Un détour effectué à plusieurs reprises auparavant. Sauf que ce jour-là, il n’était pas dans son état normal. Les deux collègues, salariés de la société Eiffage, avaient pris une trace de coke à peine une heure avant de débaucher.

Selon les déclarations du prévenu, qui ne dupent personne, c’était la première fois qu’il tapait.

« J’ai été influençable », lâche-t-il. « Il m’a dit que ça faisait du bien, que ça détendait. J’ai pas trop senti les effets, j’étais peut être plus sûr de moi. »

Cet élément à charge du dossier, l’homme s’est bien gardé de le préciser aux gendarmes chargés de l’enquête. « J’avais honte de moi », bredouille-t-il. Mais il n’a pas pu passer entre les mailles du filet concernant les restes d’un pétard, fumé la veille en guise de somnifère. Bousculé par la présidente, l’homme s’excuse mais ses mots rebondissent aussi sec sur la colère difficilement contenue d’une famille amputée.

« Il m’avait appelé juste avant pour me dire qu’il partait du travail, c’était notre petit rituel », poursuit la femme de Fabien. « Je regardais l’heure, j’essayais de me rassurer, j’ai appelé les beaux-parents pour savoir s’il s’était pas arrêté. Son téléphone ne sonnait plus. J’ai pris la voiture pour refaire la route mais je n’ai rien vu. Quand ça a frappé à la porte et que j’ai vu les gendarmes avec le maire, j’ai compris. On implore ces gens de nous dire qu’il est seulement blessé mais faut bien se rendre à l’évidence. Ensuite, il y a des choses que j’ai faites dont je ne me souviens plus. C’est une partie de moi qui s’en est allée ce jour-là. Au départ on veut le rejoindre puis on surmonte l’épreuve pour les enfants. »

Sur les bancs, les paquets de mouchoirs circulent entre les copains de Fabien, pour la plupart motards. Un mois et demi après le drame, à l’appel de la famille et de la Fédération des Motards en Colère, ils s’étaient réunis à 150, boulevard de la prairie de Mauves, pour rendre hommage et inciter les pouvoirs publics à faire des aménagements. « Dans les statistiques de la sécurité routière il y a un mort, la femme et les trois enfants de Fabien ce sont les blessés, les victimes par ricochet », plaide Me Julé-Parade en partie civile.

« Cette journée sera à tout jamais un jour maudit, ce jour où l’on vient vous annoncer que le monde de ce soir ne sera pas le même que celui du matin. Aujourd’hui, c’est compliqué d’accueillir le pardon car c’est un sentiment d’injustice qui prédomine. Fabien est mort à cause d’une imbécilité, celle d’avoir voulu quitter un embouteillage. De loin c’est un accident fortuit, presque indolore. En réalité c’est un franchissement de zébras séparés par des plots de signalisation. Il n’y a pas de volonté mais une sacré prédisposition tout de même. Tuer quelqu’un au volant, ce n’est pas quelque chose d’acceptable. »

L’avocat enchaine sur la consommation de cocaïne, qui nuit à la considération des risques, avant de conclure sur l’incapacité de la peine à réparer la douleur.

La procureure embraye pendant que le prévenu plonge encore davantage la tête dans ses épaules. « Ces dossiers d’homicide involontaire sont les plus délicats de notre profession. D’une part car nous ne pouvons en effet réparer et d’autre part car c’est un constat d’échec des actions de préventions. Si monsieur avait simplement respecté la loi nous n’en serions pas là aujourd’hui. La victime n’avait rien demandé et adoptait un comportement prudent, c’est un immense gâchis. »

Alors que la peine encourue est de sept années de prison, la procureure demande 18 mois, aménageable sous bracelet, plus 18 mois de sursis probatoire sur une durée de deux ans.

Des réquisitions suivies par le tribunal. En plus de l’indemnisation des parties civiles, le prévenu devra justifier de soins en addictologie et d’une activité professionnelle.

Le tribunal constate en outre l’annulation de son permis avec l’interdiction de repasser les épreuves pendant deux ans. Dans les mois qui ont précédé le procès, il a hésité à écrire à la famille puis s’est ravisé. « Sa croix il la porte tous les jours », a glissé son avocat.

www.epris-de-justice.info