La chute du préfet Serge Morvan

Accusé de détournement de fonds publics et usage de faux dans l’exercice de ses fonctions entre 2015 et 2018, l’ancien préfet des Yvelines comparaît devant le tribunal ce lundi 7 décembre.

Il était à l’orée d’un poste prestigieux qui aurait couronné une carrière préfectorale sans accrocs. Serge Morvan, alors pressenti pour devenir le directeur général de l’Agence nationale de cohésion des territoires, a subitement annoncé son départ le 24 juillet 2019, pour « raisons personnelles ». Un peu plus d’un an plus tard, lundi 7 décembre, l’ancien préfet des Yvelines, 61 ans, comparaît devant un juge du tribunal de Versailles, dans le cadre d’une audience de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité. Il doit répondre de détournements de fonds publics et de faux et usage de faux dans l’exercice de ses fonctions à la préfecture des Yvelines, entre juillet 2015 et avril 2018.
L’annonce surprise du renoncement aux responsabilités qui lui étaient promises de ce haut fonctionnaire, considéré comme l’« homme-orchestre » des récentes lois de décentralisation, avait laissé nombre d’observateurs perplexes. Tout ce que les Yvelines comptent d’huiles politiques, professionnelles et confessionnelles avait assisté à son départ, lorsqu’il fit ses adieux à la préfecture du département. Mais pourquoi ce petit homme discret et affable, tout en rondeur sous la casquette préfectorale, qui avait servi dans les cabinets de Daniel Vaillant au ministère de l’intérieur au début des années 2000 et d’André Vallini au secrétariat d’Etat chargé de la réforme territoriale au mitan des années 2010, pourquoi diable disparaissait-il ainsi de la place publique ?
C’est le site d’information Mediapart qui, le 22 janvier, a révélé les raisons de cette démission, confirmées au Monde. Serge Morvan était visé par deux plaintes portant sur des accusations d’« abus de faiblesse » et « violences aggravées » pour l’une et d’« escroquerie » et « faux et usage de faux » pour l’autre. Il faisait l’objet d’une enquête préliminaire diligentée par le parquet de Versailles. La situation de celui qui dirigeait depuis 2018 le commissariat général à l’égalité des territoires, sous la tutelle du ministère de la cohésion des territoires, n’était plus tenable.

Engrenage de mensonges

Le haut fonctionnaire menait une double vie : entre, d’un côté, son épouse légitime, avec qui il partageait le logement de fonction sis dans le majestueux hôtel préfectoral inauguré en 1867 – où résidèrent, entre autres, le roi de Prusse Guillaume Ier, les présidents Adolphe Thiers, Patrice de Mac Mahon ou Jules Grévy –, et sa maîtresse, à qui il avait promis le mariage et fait miroiter l’espoir d’avoir un enfant avec elle. Cette dernière estime avoir été « manipulée et trompée ». « Ma cliente a été abusée par une personne qui a utilisé ses fonctions pour accréditer ses mensonges et renforcer le crédit des faux qu’il a utilisés », a déclaré à Mediapart l’avocat de la plaignante, Pierre de Combles de Nayves, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.
Pour accréditer auprès de sa maîtresse sa volonté de refaire sa vie avec elle, Serge Morvan produit un faux certificat de divorce. Ayant engagé avec elle une procédure de procréation médicalement assistée (PMA), il fournit de fausses informations sur sa situation conjugale. La PMA aurait entraîné des complications nécessitant une opération en urgence dont la jeune femme conserve des séquelles physiques risquant de la rendre stérile.
Le préfet est pris dans l’engrenage de ses mensonges et dissimulations. En 2017, pour esquiver un mariage que sa maîtresse semble tenir pour acquis, il lui adresse par MMS un projet d’arrêté de nomination au cabinet du président Emmanuel Macron censé devoir être publié au Journal officiel. Un faux grossier. Il invoque alors des « raisons de sécurité », tout en lui précisant : « N’en parle pas, ce n’est pas fait. » En mars 2018, le grand jour est enfin venu. La preuve, il lui fait parvenir, toujours par MMS, les bans de mariage qu’il a lui-même rédigés et qui, en réalité, n’ont jamais été affichés.
La fête doit avoir lieu dans les salons de l’hôtel versaillais. Le préfet a garanti à sa bien-aimée qu’il s’occupait de tout avec l’intendant de la préfecture. Ils ont même visité les lieux ensemble, profitant d’une absence de l’épouse. Les préparatifs battent leur plein. Alors que la promise est en train de s’apprêter, les premiers membres de la belle-famille invités à la noce sonnent au portail de la préfecture et tombent… sur l’épouse du préfet. Cette fois, la dérobade est impossible, le pot aux roses découvert, la supercherie éventée et Serge Morvan confondu. L’épouse joint la maîtresse par téléphone pour lui signifier qu’il n’est plus question de mariage. La fête est finie. Le calvaire ne fait que commencer.

Archaïsme

Après le dépôt d’une plainte par la maîtresse trompée démarre une enquête préliminaire qui mettra au jour les abus commis par Serge Morvan. Pendant trois ans, il s’est régulièrement offert déjeuners ou dîners avec son amie, séjours dans l’Hexagone ou à l’étranger. Début octobre, la préfecture des Yvelines recevait encore d’Italie un procès-verbal de stationnement illégal datant de cette période. Problème : le préfet, à l’occasion de ses escapades privées, n’hésitait pas à faire usage de la carte bancaire de la préfecture.
« Dans un souci de discrétion », assure au Monde son avocat, Emmanuel Mercinier-Pantalacci. Les dépenses irrégulières effectuées par Serge Morvan avec la carte de la préfecture s’élèvent à 10 300 euros. « Il est cependant établi et non contesté qu’il compensait en réglant sur ses deniers personnels des dépenses à caractère professionnel, précise Me Mercinier-Pantalacci. De plus, s’il reconnaît seulement une partie de ces dépenses, il en a remboursé la totalité. » Malgré tout, l’agent judiciaire de l’Etat – représentant l’Etat devant les tribunaux judiciaires pour le recouvrement des créances qui lui sont dues – se constituera à titre exceptionnel à l’audience de lundi, ce qui n’avait pas été envisagé dans un premier temps, et sollicitera la réparation du préjudice moral de l’Etat à hauteur de 1 500 euros, selon les informations du Monde.
Si la défense accepte la proposition de peine formulée par le procureur de la République, la procédure s’arrêtera là. Si elle la conteste, le préfet sera renvoyé devant le tribunal correctionnel. Cette affaire n’en aura pas moins révélé une forme d’archaïsme au sein de l’institution préfectorale. Par docilité ou consentement de certains agents du corps préfectoral, il y a eu une sorte de dissimulation organisée autour de comportements répréhensibles. Aucune force d’alerte ou de rappel n’a fonctionné jusqu’à ce que le successeur de Serge Morvan à la préfecture des Yvelines, ayant eu connaissance des faits, fasse un signalement au procureur de la République et qu’une inspection soit ordonnée par le ministère de l’intérieur. Le préfet Serge Morvan a été placé hors cadre.