Privée de patron à partir de mardi, à demi paralysée depuis neuf mois, l’Organisation mondiale du commerce vit la période la plus difficile de son existence. Dans CQFD, cinq questions pour expliquer le rôle et les compétences de cette institution née il y a 25 ans.
1. Quelles sont ses origines ?
L’OMC est née le 1er janvier 1995, mais ses origines remontent bien plus loin. Elle est l’héritière de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), signé en 1947 par 23 pays – dont la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Chine – et entré en vigueur en 1948 pour la régulation du commerce international.
Celui-ci avait déjà pour mission d’harmoniser les politiques douanières et de réduire les restrictions aux échanges, en instaurant « un code de bonne conduite libérale et multilatérale ». Un objectif qu’il a poursuivi par des cycles de négociations internationales successifs permettant d’obtenir de nouvelles réductions de droits de douane et l’élargissement du nombre de pays signataires.
Doté d’un secrétariat, installé à Genève, le GATT n’était pourtant pas une véritable organisation internationale. En 1986, un nouveau cycle de négociation, appelé le « cycle de l’Uruguay », a abouti, neuf ans plus tard, à la création de l’Organisation mondiale du commerce, chargée de reprendre et d’élargir les missions du GATT.
2. Quelles sont les missions de l’OMC ?
L’OMC se définit avant tout comme un « cadre de négociation ». « L’OMC offre une enceinte où sont négociés des accords destinés à réduire les obstacles au commerce international, à garantir des conditions égales pour tous et à contribuer ainsi à la croissance économique et au développement », souligne l’organisation sur son site. Elle est en charge de la mise en oeuvre et du suivi de ces accords commerciaux et sert, à ce titre, d’arbitre sur le règlement des différends « découlant de leur interprétation et de leur application ».
L’organisation est à ce titre le garant des règles régissant le commerce international, fixées dans l’accord ayant abouti à la création de l’OMC. Par elles, « les gouvernements (des Etats membres) sont tenus de maintenir leur politique commerciale à l’intérieur de limites convenues ». « L’objectif primordial du système est de contribuer à favoriser autant que possible la liberté des échanges, tout en évitant les effets secondaires indésirables », stipule l’instance.
Elle couvre aussi bien le commerce de marchandises que celui des services. Elle est également compétente en matière de propriété intellectuelle, qu’elle est en charge de faire respecter lors des échanges commerciaux.
L’OMC se fixe aussi pour mission d’appuyer les économies en développement. Elle leur consacre un comité spécifique, chargé d’« examiner (leurs) besoins », afin de les aider à « renforcer leurs capacités commerciales et leurs infrastructures » pour « leur permettre de mieux tirer parti des possibilités d’ouverture du commerce ». Quelque 340 milliards de dollars ont ainsi été accordés jusqu’ici par l’organisation « à l’appui de projets ».
3. Combien compte-t-elle d’Etats membres ?
A l’heure actuelle, l’OMC compte 164 Etats membres, représentant 98 % du commerce mondial, et 22 pays négocient leur adhésion. Les pays membres disposent chacun d’un vote dans les prises de décision de l’instance. L’organisation accueille aussi des pays observateurs, qui n’ont pas de droit de vote.
4. Comment fonctionne-t-elle ?
Le principal organe de décision de l’OMC est la Conférence ministérielle, qui se réunit habituellement tous les deux ans. Celle-ci rassemble des représentants de tous les pays membres et est « habilitée à prendre des décisions sur toutes les questions relevant de tout accord commercial multilatéral ». L’organisation souligne que ces décisions « sont normalement prises par consensus », même si « un vote à la majorité est également possible ».
Dans l’intervalle entre deux réunions de la Conférence ministérielle, la prise de décision est dévolue au Conseil général. Il est lui aussi composé de représentants de tous les Etats membres – « habituellement, des ambassadeurs ou des fonctionnaires de rang équivalent ».
Mais l’un des organes les plus cruciaux de l’OMC est l’organe de règlement des différends, qui peut être saisi par un Etat membre estimant « qu’il est porté atteinte aux droits que (lui) confère l’Accord de l’OMC ». La procédure débute par une étape de consultation et de médiation, qui peut permettre de régler le différend à l’amiable.
Si le différend persiste, un groupe d’experts indépendants, spécifiquement nommés pour traiter l’affaire, est chargé de rendre une décision sur la base des règles inscrites dans l’Accord de l’OMC. Un appel est possible auprès d’un organe spécifique. L’ensemble de la procédure, appel compris, est censé durer 1 an et 3 mois. Depuis sa création en 1995, l’organisation a traité plus de 500 différends.
Parmi les derniers exemples majeurs, l’OMC a donné raison, en octobre 2019, aux Etats-Unis, qui contestaient les subventions accordées par les pays européens à Airbus. Les experts ont estimé les dommages subis par Washington à 7,5 milliards de dollars par an et l’ont autorisé à imposer des droits de douane spécifiques allant de 10 à 25 % à l’encontre de l’Union européenne.
5. Pourquoi l’OMC est-elle dans la tourmente ?
Depuis la fin de l’année 2019, l’OMC s’est avérée incapable de mener à bien le règlement des différends entre ses pays membres. La faute revient aux Etats-Unis. Engagé dans une guerre commerciale avec la Chine, le président américain Donald Trump accuse l’organisation de favoriser les pays en développement, et principalement Pékin.
En juillet 2019, Washington dénonçait ainsi une « dichotomie obsolète entre pays développés et en développement qui a permis à certains membres […] de bénéficier d’avantages injustes ». En réaction, les Etats-Unis ont opposé leur véto à la nomination de nouveaux juges au sein de l’organe d’appel de l’OMC, indispensable à la procédure de règlement des différends.
Depuis le 10 décembre 2019, date du terme du mandat de deux des trois juges composant cet organe, celui-ci s’est trouvé dans l’impossibilité de statuer sur une décision. Une paralysie qui perdure encore aujourd’hui.
Le patron de l’OMC, le Brésilien Roberto Azevedo, a annoncé en mai sa démission surprise, à un an du terme de son mandat. A partir de ce mardi, l’organisation n’aura plus de directeur et le processus de désignation pourrait être grandement retardé, tant par la pandémie de Covid-19 que par l’approche de l’élection présidentielle américaine.
Florian Maussion