La Commission européenne propose ce mardi 15 décembre sa nouvelle régulation numérique, un projet très attendu face à la concurrence des géants de l’Internet, qu’ils soient américains ou chinois. Cette liste d’obligations et interdictions, assortie de sanctions dissuasives en cas de non-respect, veut éviter les abus de pouvoir des Gafam.

Haine en ligne, abus de position dominante, loi du plus fort… Internet ressemble parfois à un Far West que l’Europe a l’ambition de réguler. C’est en tout cas l’objectif du Commissaire au Marché intérieur Thierry Breton et de la vice-présidente de la Commission Margrethe Vestager – connue pour sa fermeté vis-à-vis des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, soit les géants du web).

Selon Thierry Breton, chargé de préparer cette nouvelle législation, « tout ce qui est autorisé dans l’espace physique doit l’être dans le monde de l’Internet. En revanche, tout ce qui est interdit dans l’espace physique, sera interdit dans l’espace en ligne. »

Les obligations des acteurs du numérique

Mais concrètement, qu’est-ce qui va changer ? Le projet est double. Le premier volet, appelé Digital Services Act, impose à tous les acteurs en ligne des obligations, comme celle de coopérer avec les régulateurs. Le second volet, le Digital Market Act, vise à créer un marché unifié du numérique en Europe avec plus de concurrence et d’innovation au bénéfice des utilisateurs. Alors que Google ou Facebook se retrouvent dans le collimateur de la justice américaine pour abus de position dominante, l’Europe cherche à imposer ses propres conditions.

Et l’Union européenne n’y va pas de main morte ! Désormais, en cas d’infraction grave ayant pour conséquences la mise en danger de la sécurité des citoyens européens, les intermédiaires en ligne pourraient écoper d’une amende allant jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires. Ils pourraient aussi se voir frappés d’interdiction d’opérer sur le marché européen.

Les géants du numérique sont souvent épinglés pour des pratiques jugées anticoncurrentielles. En cas d’infraction prouvée, les sanctions pourraient atteindre 10 % du chiffre d’affaires, et même déboucher, dans les cas extrêmes, sur une obligation de se séparer d’activités en Europe pour les acteurs mis en cause.

Des « licornes » valorisées en milliards de dollars

La dernière régulation de l’espace numérique européen date de 2000. L’idée était alors de laisser les entreprises numériques se développer. Mais depuis, elles sont devenues des mastodontes, dont la valorisation boursière dépasse le PIB de nombreux pays.

Encadrer ces puissances est devenu un enjeu crucial, selon Alexandre de Streel, professeur de droit à l’université de Namur (Belgique), expert en marché du numérique : « On va leur demander de mieux modérer les contenus illégaux sur Internet ou d’éviter qu’il y ait des produits illégaux sur les places de marché. On va les forcer à ouvrir les plateformes pour permettre que de nouveaux innovateurs puissent entrer sur le marché. Il y a vraiment un objectif d’ordre politique d’assurer un Internet meilleur, avec moins d’illégalité. On va essayer d’avoir plus de concurrence, que l’on n’ait pas un seul grand réseau social, un seul moteur de recherche, mais plusieurs. Et si possible, quelques acteurs européens. »

Un patchwork de règles nationales dans l’UE

L’Europe semble absente dans cette catégorie des poids lourds de l’Internet. Pourtant elle ne manque ni de start-ups, ni de scientifiques. Alors qu’aux États-Unis ou en Chine, les entreprises ont un marché unifié du secteur, une start-up européenne doit faire face à 27 réglementations nationales qui freinent son développement et la poussent à chercher la réussite ailleurs.

Sans compter que la culture du financement à risque d’une entreprise à fort potentiel est peu développée en France comme en Europe, estime Jean-François Faure, spécialiste du numérique et président d’AuCOFFRE.com : « On a peut-être 200 start-ups en France qui sont aimées et désirées, parce qu’elles cochent certaines cases. Ce sont ces start-ups que l’on aime bien montrer, parce qu’elles sont sur un modèle économique qui fait plaisir dans les chaumières. Mais en fait, ce qui fait le tissu industriel ou numérique français, ce sont toutes ces entreprises que l’on ne voit pas et qui sont contraintes au quotidien par ces milliers de petites procédures qui sont autant de contraintes à notre développement. Avant même de comprendre comment fonctionne un domaine donné, il y a déjà une loi mal faite qui le contraint. »

Vers une souveraineté numérique de l’Europe ?

Face à ce patchwork de règles, l’Union européenne doit se doter d’une véritable politique industrielle commune, comme une sorte d’Airbus du numérique. « L’Europe veut être beaucoup plus assertive et développer sa souveraineté numérique, explique Alexandre de Streel. L’idée est de se dire : si vous voulez travailler en Europe, vous devez travailler selon des valeurs européennes qui sont différentes des valeurs américaines ou chinoises. Seule l’Europe a suffisamment de poids économique et politique pour faire plier une grosse plateforme. Un pays, même un grand pays, n’y arrivera pas. C’est un grand marché de 450 millions de citoyens, qui sont relativement riches. C’est un marché économiquement trop important pour Google, Facebook ou encore Amazon. »

Donner les outils à l’Europe pour qu’elle puisse traiter d’égal à égal avec les États-Unis ou la Chine : voilà l’enjeu de cette nouvelle législation sur le numérique.

RFI