Gibril Massaquoi, principal informateur du procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, a été arrêté en Finlande, le 10 mars. Douze ans après avoir bénéficié de l’asile et de mesures de protection, l’ancien commandant et porte-parole de la rébellion sierra léonaise est maintenant poursuivi pour des crimes commis au Liberia voisin. Un thriller judiciaire à l’impact international. Premier volet de cette enquête exclusive : comment Massaquoi s’est fait rattraper par son passé.
Ce 3 mars 2003, dans un bar de l’oblongue et somptueuse plage de Lumley, qui ouvre et ferme à la fois la spectaculaire péninsule de Freetown, Gibril Massaquoi paraît sur ses gardes. Il est arrivé avec une heure de retard à notre rendez-vous et laisse son petit transistor allumé, dressant nerveusement l’oreille à chaque bulletin d’informations. L’ancien rebelle sierra léonais assure avoir « la conscience tranquille » mais il dit également craindre d’être arrêté par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), une cour créée par les Nations unies, en accord avec le gouvernement, pour juger les principaux responsables des crimes commis au cours de la guerre civile, entre 1991 et 2002.
Massaquoi est très vite employé par les rebelles pour tenir le stock des armes et munitions. Son ascension est rapide. Un an plus tard, de mi-1992 à fin 1993, il dirige un groupe d’une centaine d’hommes.
LES DÉBUTS D’UN « SEIGNEUR DE GUERRE »
Massaquoi a 21 ans quand, en mars 1991, le RUF pénètre en Sierra Leone depuis le territoire libérien. Au Liberia, cela fait déjà quinze mois que la guerre civile fait rage, avec son cortège d’atrocités, son carnaval meurtrier, et ses milliers d’enfants soldats. C’est là que le RUF s’est entraîné et armé. L’offensive du RUF ouvre dix ans de guerre civile en Sierra Leone.
Massaquoi enseigne alors à l’école secondaire Saint-Paul, dans la ville de Pujehun, au sud de la Sierra Leone. En mai, les rebelles du RUF entrent à Pujehun. Massaquoi s’enfuit dans un village, à une dizaine de kilomètres. Puis il revient en ville, où il est très vite employé par les rebelles pour tenir le stock des armes et munitions, avant d’être soumis à trois semaines d’entraînement militaire et idéologique. Son ascension est rapide. Un an plus tard, de mi-1992 à fin 1993, il dirige un groupe d’une centaine d’hommes, les Forces Alligators. Fin 1993, il rencontre Foday Sankoh, fondateur et chef de la rébellion. Massaquoi continue de monter en grade. Il devient commandant d’un bataillon d’environ 400 hommes. Mi-1994, il est capitaine, selon les avancements de carrière souvent fantasques de ce mouvement armé.
Mais c’est véritablement en 1996 qu’il sort de l’ombre. Le voici accompagnant Sankoh en Côte d’Ivoire pour signer les premiers accords de paix entre la rébellion et le gouvernement civil. Massaquoi devient porte-parole du RUF. Il est aux côtés du chef du RUF, dont il est désormais « l’assistant spécial », quand celui-ci est placé en résidence surveillée au Nigéria. Il a le grade de major quand, le 25 mai 1997, un coup d’état militaire à Freetown renverse le gouvernement démocratiquement élu un an plus tôt, annihile l’accord de paix, et officialise l’alliance des principaux fossoyeurs du pays depuis 1991 : l’armée sierra léonaise et le RUF.
PREMIERS SOUPÇONS DE TRAHISON
Le 2 août 1997, Massaquoi débarque dans la capitale sierra léonaise. Il est nommé membre du Conseil suprême du Conseil révolutionnaire des forces armées, l’AFRC, la nouvelle junte installée par des sous-officiers. Massaquoi est l’un des représentants du RUF. En octobre, il est pourtant mis aux arrêts par ses comparses, soupçonné de trahison. Mi-février 1998, les forces d’intervention ouest-africaines reprennent le contrôle de Freetown et réinstaurent le gouvernement civil. Elles trouvent Massaquoi dans la prison centrale. Et elles l’y gardent. Pour trahison à nouveau, mais contre le gouvernement civil. Il sera acquitté, mais il s’y trouve encore, le 6 janvier 1999, quand ses anciens compagnons de l’AFRC mènent un assaut éclair sur Freetown. Une attaque baptisée sans fard « Operation No Living Thing ». La capitale est mise à feu et à sang, marquant l’apogée des violences et des cruautés dans ce conflit.
Les assaillants, après avoir envahi les deux tiers de la péninsule, seront vite repoussés. Mais Massaquoi, comme toutes les personnes incarcérées dans la prison centrale, a retrouvé la liberté. Il reprend sa carrière de rebelle.
De nouveaux accords de paix sont signés dans l’amertume, en juillet 1999, à Lomé, au Togo. Ils offrent au RUF une légitimité politique. Sankoh et quelques autres membres de la rébellion s’installent à Freetown et entrent au gouvernement. Une importante force de l’Onu est envoyée pour garantir la transition attendue vers la paix. Massaquoi est toujours aux côtés de Sankoh. Il a le grade de lieutenant-colonel. Le RUF paraît remporter la mise.
Jusqu’à cette cruciale première semaine de mai 2000, où, en pleine phase officielle de désarmement, les commandants du RUF prennent en otage environ 500 casques bleus. Pour la communauté internationale, c’est le camouflet de trop. L’opinion publique sierra léonaise se retourne définitivement contre la duplicité du chef du RUF et contre cette rébellion qui n’a jamais été populaire. La crise des otages va signer l’arrêt de mort du RUF.
Massaquoi est en compagnie de Sankoh quand sa résidence est encerclée par un mélange de civils, de chasseurs traditionnels et de soldats. Plusieurs civils sont tués lors d’un brutal échange de tirs. Massaquoi, l’un des deux hommes en charge de la sécurité de la résidence, parvient à s’enfuir. Sankoh, lui, est rattrapé. Il mourra en prison, trois ans plus tard, avant de pouvoir être jugé par le TSSL. En un an, une robuste intervention étrangère va défaire le RUF. En janvier 2002, la guerre civile sierra léonaise est officiellement close.
Massaquoi a le sombre privilège d’avoir été membre du RUF et de l’AFRC, les deux factions armées qui, selon la Commission vérité et réconciliation, sont responsables de plus de 70 % des exactions répertoriées. On s’attend à ce qu’il soit jugé. Il le sait. Il lui reste une carte à jouer : collaborer avec le procureur.
L’INFORMATEUR EN CHEF DU PROCUREUR INTERNATIONAL
Le temps de la justice est venu en Sierra Leone. Deux institutions travaillent concurremment : une commission vérité et réconciliation, qui mènera ses travaux entre 2002 et 2004 et produira un rapport extrêmement précieux sur les causes du conflit, sa conduite, ses acteurs et les multiples et graves violations des droits de l’homme qui l’ont accompagné ; et un tribunal spécial, instauré par l’Onu en accord avec le gouvernement, chargé de juger ceux qui « portent la plus grande responsabilité » de ces crimes.
Massaquoi a le sombre privilège d’avoir été membre du RUF et de l’AFRC, les deux factions armées qui, selon la Commission vérité et réconciliation, sont responsables de la plus grande partie des crimes commis – à elles deux, plus de 70 % des exactions répertoriées. On s’attend à ce qu’il soit jugé. Il le sait. Il lui reste une carte à jouer : collaborer avec le procureur.
C’est l’Américain Alan White, directeur des enquêtes du nouveau Tribunal spécial, qui le rencontre peu après son arrivée en Sierra Leone, mi-2002. Les anciens combattants prêts à témoigner et collaborer ne manquent pas. Massaquoi se montre immédiatement plus coopératif que les autres. Il a directement traité avec Sankoh, avec l’ex-président libérien Charles Taylor, que le procureur veut mettre en accusation, et avec son relais auprès du RUF, Benjamin Yeaten, qui intéresse également les enquêteurs. Il possède des informations les impliquant gravement dans le trafic d’armes et de diamants. Il connaît par cœur la structure du RUF ainsi que les responsables de crimes commis, tant par le RUF que par l’AFRC. Massaquoi rend aussi service en allant recruter d’autres « insiders ».
Selon des membres du bureau du procureur, il ne faisait pas partie de ceux « portant la plus grande responsabilité » dans les crimes, critère officiel pour la sélection des individus à poursuivre. « A ma connaissance, c’est Massaquoi qui a pris contact avec Al White pour le rencontrer. Il nous a tout raconté et a accepté de collaborer avec nous. Le procureur a dit oui et lui a accordé l’immunité. Au Liberia, nous avons axé notre enquête sur Taylor. Jamais le nom de Massaquoi n’est sorti dans cette enquête », se rappelle Gilbert Morissette, adjoint de White, qui a longuement interrogé et couvé Massaquoi.
Selon la Commission, « Gibril Massaquoi a personnellement attisé les tensions autour de la crise des otages de l’Unamsil. Il était un rouage central de la chaîne de commandement du RUF. Massaquoi porte une part de responsabilité individuelle dans la détérioration de la sécurité en Sierra Leone ».
LES ACCUSATIONS DE LA COMMISSION VÉRITÉ
La Commission vérité et réconciliation, elle, est d’un tout autre avis. Elle note que Massaquoi – qui a fourni un témoignage à la Commission – figure parmi les dix membres du haut commandement du RUF et qualifie cet « assistant personnel » du chef historique d’« influent ». La Commission « tient Gibril Massaquoi responsable de la torture et de l’exécution sommaire d’au moins 25 membres du RUF dans la région de Pujehun, en 1993. »
Le rôle de Massaquoi dans la prise d’otage des casques bleus de la mission d’assistance de l’Onu (Unamsil) est aussi épinglé. Selon la Commission, « Gibril Massaquoi a personnellement attisé les tensions autour de la crise des otages de l’Unamsil. Il était un rouage central de la chaîne de commandement du RUF. Sa présentation au monde de la position du RUF a été fallacieuse. Massaquoi porte une part de responsabilité individuelle dans la détérioration de la sécurité en Sierra Leone ». Pour les commissaires, la duplicité de Massaquoi, convaincu de pouvoir renverser le gouvernement civil, y compris par les armes, a été totale.
RÉPARATIONS EN SIERRA LEONE : DES NOUVELLES DE LA PÉRIPHÉRIE DE LA JUSTICE TRANSITIONNELLE
UN « TUEUR » ÉLÉGANT ET INTELLIGENT
La Commission précise traiter le témoignage de l’ancien rebelle « avec une extrême prudence ». « Massaquoi est unique au sein du RUF dans le sens où il est demeuré une énigme pour nombre de ceux qui l’ont côtoyé tout au long de la guerre. Il est éduqué, capable de se faire passer pour un ‘administrateur’ aux yeux du monde extérieur. » Selon la Commission, Massaquoi élude les questions sur son propre rôle dans les opérations militaires. Pourtant, ajoute-t-elle, de nombreux témoignages de ses anciens complices établissent qu’il « combattait farouchement sur la ligne de front », commandait des unités au cours « d’opérations militaires cruciales ». L’analyse est implacable : « Après [les accords de paix de] Lomé, Massaquoi était ‘l’assistant spécial’ de Sankoh dans tous les sens du terme. Sa position était celle qui se rapprochait le plus d’un commandant en second de facto. »
Lansana Gberie, expert et auteur reconnu sur la Sierra Leone et le Liberia (et ambassadeur de la Sierra Leone en Suisse et auprès de l’Onu à Genève depuis 2018), a rencontré Massaquoi de nombreuses fois à Freetown alors qu’il était sous protection du tribunal. Il le décrit ainsi : « C’était l’un des rares à avoir de l’éducation. Il porte beau, il est suave, intelligent et s’exprime bien. Il est élégant et propre sur lui. Il parle facilement des autres, mais pas de son propre rôle de brute. [Pourtant] il était très brutal et il a assurément tué des gens. Il est impossible qu’il ait atteint son niveau de responsabilité sans participer. Je n’y crois pas. C’était un tueur mais c’est difficile de le voir en personne. »
Dans de telles enquêtes, « on ne peut pas poursuivre tout le monde », explique Alan White, ancien directeur des enquêtes du TSSL. « Il nous a aidés à identifier les cibles. La valeur de ses informations était telle que nous pouvions les vérifier. »
LE PLUS PRÉCIEUX DES INFORMATEURS DU TSSL
Dans de telles enquêtes, « on ne peut pas poursuivre tout le monde », explique Alan White, ancien directeur des enquêtes du TSSL. « Il nous a aidés à identifier les cibles. La valeur de ses informations était telle que nous pouvions les vérifier. » Massaquoi est le plus précieux des informateurs du tribunal de l’Onu. Plus important que Mike Lamin, autre haut responsable du RUF qui se mettra au service du procureur, peut-être d’ailleurs sous l’influence de Massaquoi. « Massaquoi est le plus important de tous », dit Morissette. « Pour moi, il était probablement le plus important », confirme White.
En octobre 2005, Massaquoi témoigne dans le procès de trois anciens chefs de l’AFRC. Il le fait publiquement, sans masquer son identité ni son visage, alors qu’il bénéficie d’une protection complète. Une originalité pour un témoin de son statut. En 2007, sous escorte du tribunal spécial, on le retrouve à Chicago pour témoigner contre un Libérien ayant combattu au Liberia et en Sierra Leone, accusé de tortures et de violation des lois sur l’immigration.
« UNE VIE RESPECTABLE » EN FINLANDE
Et c’est en août 2008, donc, qu’il part refaire sa vie en Finlande, dans la ville industrielle et universitaire de Tampere. Massaquoi se met à apprendre le finnois à l’université. Le Centre de recherches sur la paix et les conflits l’invite à participer à ses séminaires et à y intervenir, sans mesurer vraiment à qui ils ont affaire. Dans l’un de ces ateliers de travail, en 2010, il est même identifié comme « coordinateur ». Il parle apparemment très peu de son passé ou de son rôle dans les procès à Freetown. Selon un membre de l’université, témoignant sous couvert d’anonymat, il menait « une vie respectable ».
Pendant cette période, il soumet un manuscrit au regard expert de Lansana Gberie, qui le partage avec Stephen Ellis, l’un des universitaires les plus réputés sur ces conflits des années 90 en Afrique de l’Ouest et témoin expert devant le Tribunal spécial. Dèjà, en 2005, lors de son témoignage à la cour, Massaquoi avait déclaré avoir écrit 500 pages sur le conflit. Mais « son manuscrit ne vaut rien », assure Gberie. « Il embellissait tout et c’était rempli de mensonges manifestes qui le faisaient apparaître comme un héros ».
Massaquoi n’est pas arrivé en Finlande comme témoin « protégé » mais comme témoin « relocalisé ». En apparaissant et intervenant sous son nom dans des événements publics, notamment à l’université, certains considèrent que le Sierra Léonais a, de fait, levé tout droit éventuel à la protection.
L’ENQUÊTE DE CIVITAS MAXIMA
C’est en 2018 que, sur la base d’un important témoignage initial, l’ONG suisse Civitas Maxima, qui enquête depuis plusieurs années sur des Libériens soupçonnés d’avoir commis de graves crimes pendant les deux guerres civiles libériennes, décide d’approfondir ses recherches sur le rôle présumé de Massaquoi au Liberia, et non pas en Sierra Leone. Surtout au cours de la période 2001-2002, entre la fin des combats en Sierra Leone et sa collaboration avec le Tribunal spécial, période pendant laquelle la deuxième guerre civile libérienne fait rage.
Alain Werner, directeur de l’ONG Civitas Maxima, à l’origine de l’enquête sur Massaquoi au Liberia.L’ONG découvre des faits d’une ampleur et d’une nature qui touchent au cœur du mandat de l’organisation, selon son directeur Alain Werner, qui est particulièrement familier du dossier : de 2003 à 2008, Werner a travaillé au bureau du procureur du Tribunal spécial, à Freetown. Le fait que la présence de Massaquoi en Finlande soit publiquement connue et révélée sur Internet semble lever l’obstacle de la protection des témoins. D’ailleurs, de source judiciaire finlandaise, Massaquoi n’est
pas arrivé en Finlande comme témoin « protégé » mais comme témoin « relocalisé ». A l’époque, la Finlande n’avait pas de programme national de protection de témoins. En apparaissant et intervenant sous son nom dans des événements publics, notamment à l’université, certains considèrent que le Sierra Léonais a, de fait, levé tout droit éventuel à la protection.
En août 2018, Civitas Maxima informe la justice finlandaise de ses recherches. En octobre, le procureur général finlandais donne son feu vert à l’enquête. En Finlande, explique Thomas Elfgren, qui dirige les enquêtes dans ce dossier, les accords bilatéraux ne lient pas le procureur général en matière pénale. S’il y a des raisons de croire qu’un ressortissant ou qu’un résident permanent a commis des crimes, il y a obligation d’enquêter. « Nous avons des critères très stricts. Si un individu a commis des crimes, on ne peut lui offrir l’immunité. Nous avons l’obligation légale d’étudier le dossier », explique-t-il.
Pourquoi Massaquoi aurait-il continué d’aller se salir les mains au Liberia quand il pouvait s’éclipser et s’extirper de dix ans de guerre en faisant profil bas en Sierra Leone ?
CONTROVERSE SUR L’ENQUÊTE FINLANDAISE
Fin 2018, contact est pris avec des représentants du Tribunal spécial. Officiellement, le tribunal a fermé. Mais il existe encore, comme pour tous les tribunaux internationaux qui ont achevé leurs travaux, un « mécanisme résiduel », chargé de gérer un certain nombre de tâches pérennes, comme les demandes de mise en libération anticipée des condamnés ou la protection des témoins. Selon plusieurs sources, les représentants du Mécanisme expriment leur inquiétude. Mais les Finlandais répondent que leur enquête ne touche pas au mandat du tribunal spécial : les faits allégués se sont déroulés au Liberia alors que le tribunal spécial n’avait compétence que sur les crimes commis en Sierra Leone.
En 2019, les policiers finlandais se rendent à trois reprises au Liberia. Ils rassemblent plus de 90 témoignages qui les convainquent qu’ils ont un dossier solide. Selon plusieurs sources, avec l’accord du Mécanisme, ils interrogent également au moins trois des individus que Massaquoi a aidés à faire condamner et qui purgent actuellement leur peine dans une prison au Rwanda.
Entre protecteurs de Massaquoi, partisans des poursuites et experts, la controverse est déjà ouverte sur la crédibilité des allégations contre le Sierra Léonais. Pourquoi Massaquoi aurait-il continué d’aller se salir les mains au Liberia quand il pouvait s’éclipser et s’extirper de dix ans de guerre en faisant profil bas en Sierra Leone ? « D’un point de vue des probabilités, cela ne colle pas à mes yeux », analyse Lansana Gberie. « En 2001-2002, il s’est froissé avec ses amis pour des questions d’argent. Il cherchait une issue de sortie. Je ne pense pas qu’un gars comme lui serait assez stupide pour retourner au Liberia. Mais peut-être, qui sait ? Certains types du RUF sont allés au Liberia, plusieurs d’entre eux. Il a pu en être. Il connaît bien le Liberia. Je ne sais pas. J’aimerais bien voir ce qu’ils ont trouvé. ”
L’affaire Massaquoi est née, qui secoue le milieu des juristes et procureurs internationaux : peut-on, doit-on poursuivre un ancien « insider » qui a aidé un tribunal de l’Onu ?
TRAFICS DIVERS ET CRIMES GRAVES
Il existe certains indices publics de sa présence au Liberia. En octobre 2001, un rapport du panel d’experts de l’Onu sur le Liberia note que la relation entre le RUF et le Liberia s’est poursuivie, malgré une scission chez les rebelles sierra léonais entre ceux qui embrassaient leur désarmement et ceux désireux de poursuivre le combat. Des unités du RUF combattent alors dans certaines régions du Liberia, notent les experts. Ils révèlent aussi qu’en août 2000, la police avait eu la surprise, lors d’une descente chez un homme d’affaires libanais, d’y trouver Gibril Massaquoi, avec un sac contenant 15 000 dollars. Ils évoquent un autre incident, datant de juillet 2001, où le même Massaquoi avait déposé plainte pour s’être fait escroquer dans l’achat de 69 véhicules pour le RUF, après avoir donné 110 000 dollars en cash et 2600 carats d’or. L’origine présumée de cet argent était le commerce du diamant depuis la Sierra Leone.
Mais devant la justice finlandaise, Gibril Massaquoi est accusé de crimes nettement plus graves et nombreux : crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour meurtres, torture et viols notamment. Le 10 mars 2020, dix-sept ans jour pour jour après qu’il a mis sans vergogne ses anciens amis rebelles dans les mains de la justice internationale, Gibril Massaquoi est à son tour cueilli par une police nationale qui lui dénie tout statut particulier. L’affaire Massaquoi est née, qui secoue le milieu des juristes et procureurs internationaux : peut-on, doit-on poursuivre un ancien « insider » qui a aidé un tribunal de l’Onu ?
Gibril Massaquoi, principal informateur du procureur du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), a été arrêté en Finlande, le 10 mars. C’est la première fois qu’un « insider » d’un tribunal de l’Onu se trouve poursuivi, sans accord préalable, par une justice nationale. Et cela sème la zizanie entre anciens membres du TSSL. Faut-il le déplorer ? Les dés étaient-ils été pipés dès le départ ? Second volet de notre enquête exclusive. [LIRE LA SUITE]