Face à des rapports d’atrocités quotidiennes qui s’accumulent sur une guerre qui fait rage depuis près de dix ans, avec son lot d’atrocités de morts et de blessés, la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie veut que ces crimes soient jugés.

À la veille du dixième anniversaire du conflit et de la crise syrienne, les enquêteurs onusiens veulent que la justice passe pour punir les responsables. « Les [solutions militaires] ont conduit à une décennie de mort, de déni et de destruction », ont dénoncé les enquêteurs de l’ONU dans un rapport publié ce jeudi à Genève.

Alors que toutes les parties au conflit restent réticentes à enquêter de manière transparente toutes les allégations de crimes, et encore moins à poursuivre les auteurs de ces actes, le rapport salue l’évolution positive des poursuites dans les juridictions nationales des États tiers. A ce sujet, le rapport note la contribution de la Commission à plus de 60 enquêtes de ce type.

Depuis le début de ses travaux, la Commission a établi des listes confidentielles d’auteurs présumés de violations et de crimes en Syrie parmi toutes les parties au conflit, sur la base de près de 8.000 entretiens.

Agir sur d’autres fronts face à l’inaction de la communauté internationale

« Les demandes des victimes en matière de justice et de responsabilité sont un élément central de toute paix durable », a déclaré l’un des trois membres de la Commission, Hanny Megally.

À ce jour, la Commission a rassemblé des informations initiales sur plus de 3.200 auteurs présumés. Parmi ces individus, elle a pu déterminer « des informations crédibles suffisantes sur l’implication dans la commission d’un crime pour 121 de ces individus ».

Cela inclut des individus de toutes les parties du conflit, y compris les forces gouvernementales, les groupes armés anti-gouvernementaux, dont les unités de protection du peuple kurde, et les organisations terroristes Hay’at Tahrir Al-Sham et ISIL, inscrites sur la liste des Nations Unies.

Pour l’équipe de Paulo Pinheiro, « il est grand temps de prendre de nouvelles initiatives dans d’autres domaines de la justice et l’histoire récente a montré que l’inaction du Conseil de sécurité des Nations unies ne doit pas empêcher d’agir sur d’autres fronts ».

A maintes reprises, les Syriens ont réclamé justice sur les disparus ou les personnes détenues arbitrairement », a affirmé M. Megally, ajoutant que « les mesures de justice réparatrice ne peuvent être laissées en suspens jusqu’à la fin du conflit ».

Le Président de la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, Paulo Sérgio Pinheiro. 

Le recours à des États tiers exerçant une certaine forme de compétence universelle

Or « l’ampleur et la gravité de la myriade de violations et d’abus » commis par les parties au conflit depuis mars 2011 ont engendré des demandes énergiques et persistantes de reddition des comptes.

En attendant, « en l’absence d’une reddition des comptes en Syrie et du fait que la communauté internationale n’a pas saisi la Cour pénale internationale », la seule possibilité de demander des comptes aux auteurs de crimes devant des tribunaux respectant un procès équitable a été le recours à des juridictions nationales d’États tiers exerçant une certaine forme de compétence universelle.

A ce sujet, le rapport souligne de « nombreux États ont condamné des individus pour des infractions liées au terrorisme dans le cadre du conflit syrien ». Toutefois, peu ont relativement cherché à enquêter et à poursuivre des individus pour des crimes internationaux commis contre des Syriens.

Selon la Commission, l’essentiel des enquêtes et des condamnations publiques est actuellement concentré dans un petit nombre d’États d’Europe occidentale, dont l’Autriche, la France, l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas. Et pour ces dossiers, la grande majorité des cas concernent la présence d’auteurs présumés sur le territoire de l’État concerné.

Islam Alloush du groupe armé Jaysh al-Islam (Armée de l’islam) poursuivi en France

C’est le cas de la récente arrestation d’Islam Alloush, anciennement du groupe armé Jaysh al-Islam (Armée de l’islam), par les autorités françaises en janvier 2020, en relation avec la disparition de quatre éminents militants syriens en décembre 2013.

De son côté, l’Allemagne a officiellement demandé en février 2019 l’extradition du général Jamil Hassan du Liban, où il s’était rendu pour des soins médicaux, bien que l’extradition n’ait pas eu lieu.

Le rapport rappelle par ailleurs les efforts pour tenir la Syrie responsable en vertu de la loi américaine sur les immunités souveraines étrangères. C’est dans ce contexte qu’une plainte a été déposée, au nom des membres de la famille de Marie Colvin, une journaliste tuée par un bombardement gouvernemental à Homs en février 2012.

Un jugement par défaut a été ordonné en janvier 2019 contre le gouvernement syrien. « Un litige connexe est en cours en France », souligne le rapport.

Dans ce document de 20 pages publié aujourd’hui, la Commission d’enquête revient sur « les plus odieuses des violations perpétrées contre la population civile syrienne depuis mars 2011 ». Des actes, qui sont susceptibles de constituer « des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’autres crimes internationaux, y compris le génocide ».

© UNICEF/Alessio Romenzi Un enfant se promène dans le camp de Roj, au nord-est de la Syrie.
Aucune poursuite de forces gouvernementales en Syrie

Pourtant à ce jour, la Commission n’a reçu aucune information concernant l’enquête, les poursuites, la condamnation ou l’acquittement de militaires, de forces de sécurité ou de membres du gouvernement syrien pour toute violation criminelle par le gouvernement. En outre, au cours des neuf dernières années, elle a constamment constaté que les tribunaux nationaux syriens ne sont pas un mécanisme efficace pour rendre la justice.

Sur un autre plan, les enquêteurs onusiens soulignent avoir connaissance d’enquêtes menées par certains gouvernements d’États tiers concernant « le comportement potentiellement illégal de leurs propres forces. « Mais aucune n’a donné lieu à des poursuites pour les crimes de guerre et les violations du droit international humanitaire documentés, commis par des bombardements aériens ou tout autre acte », ont-ils regretté.

Plus largement, la Commission d’enquête de l’ONU pour la Syrie critique la volonté des belligérants à sacrifier les droits fondamentaux pour des gains politiques de courte durée ou sous le prétexte d’une lutte contre le terrorisme, ainsi que la sélectivité dont font preuve ceux qui soutiennent le gouvernement syrien ou les différentes parties.

Les enquêteurs appellent à une relance des efforts internationaux pour mettre fin au conflit et mettre le pays sur la voie de la paix et de la justice.

A noter que la Commission présentera son rapport, le 11 mars prochain à Genève, lors d’un dialogue interactif à la 46e session du Conseil des droits de l’homme.