Personnel soignant en combinaison intégrale au centre de traitement des épidémies de Nzérékoré.
Personnel soignant en combinaison intégrale au centre de traitement des épidémies de Nzérékoré. © RFI/Carol Valade

Tandis que le monde a les yeux rivés sur la pandémie de Covid-19, la Guinée est en proie à une résurgence du virus Ebola, près de 5 ans après la fin de l’épidémie la plus meurtrière qui avait coûté la vie à plus de 11 300 personnes en Afrique de l’Ouest. En région forestière dans le sud du pays, au moins 9 personnes ont trouvé la mort sur une vingtaine de cas détectés. Les autorités se sont donné 6 semaines pour vaincre la maladie, mais il faut pour cela surmonter les réticences de la population et la peur que suscite de toutes parts la fièvre hémorragique.

La piste d’atterrissage se distingue à peine au milieu de la forêt. Le petit avion à hélices amorce sa descente sur Nzérékoré avec à son bord les 800 premières doses du vaccin contre Ebola.

C’est le terme d’un long périple et d’une course contre la montre: le vaccin se conserve 5 jours à -80°C. Aussitôt débarqué, il est acheminé vers Gouecké, l’épicentre de l’épidémie. Un petit haut-parleur, des chaises de plastique colorées, la cérémonie se déroule sans anicroche mais, en coulisses, le ministre de la Santé parlemente depuis deux jours pour vaincre les réticences: « Ce vaccin n’est pas un poison ! Ceux qui vous disent de ne pas le prendre veulent qu’il y ait des morts! » lance-t-il, visiblement en colère, à l’assemblée.

« Il y a une absence totale de confiance envers les autorités politiques et sanitaires », analyse Frédéric Le Marcis, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement, déployé dans la zone dès l’annonce de la réapparition du virus. « Ce n’est pas une spécificité africaine, nuance le docteur Ibrahima Camara, épidémiologiste au CERFIG*. En Europe, les théories du complot se sont également développées à la faveur de l’épidémie de Covid-19. »

Les habitants de Guinée forestière voient d’un œil suspicieux les politiciens qui ne parcourent les 900 km (au moins deux jours de trajet en raison du mauvais état des routes) qui séparent leur région de la capitale qu’à l’occasion de drames ou d’échéances électorales. « Ebola business », murmure-t-on en regardant passer, chaque jour plus nombreux, les 4×4 des ONG internationales. On retient de la précédente épidémie que seule une minorité bénéficiera de cette manne et que bien peu restera, une fois les humanitaires repartis.

La peur s’insinue

En attendant, le préfet retrousse sa manche pour donner l’exemple, mais ne semble pas très rassuré. « C’est quelque chose de nouveau », explique le docteur Abourahamane Diallo, coordinateur de la vaccination pour l’OMS. « Il faut laisser aux gens le temps d’observer que les premiers vaccinés se portent bien. »

La campagne, qui vise uniquement les contacts directs ou indirects des malades, semble bien démarrer, avec même un certain engouement. Mais 10 jours plus tard, au lendemain de la visite d’une délégation de l’OMS, les tentes flambant neuves du centre d’isolement sont incendiées par un groupe de jeunes.

La peur s’insinue, les acteurs de la riposte ont à l’esprit le souvenir de Womey, où 8 membres d’une mission de sensibilisation ont été massacrés et leurs corps dissimulés dans une fosse septique. C’était à 10km de là, en septembre 2014. « Ebola est une maladie qui a derrière elle la violence, commente Christophe Milimono, l’un des seuls rescapés. Lorsque tu en meurs, ton corps est emmené là où aucun parent ne peut le voir, tes affaires sont rassemblées et brûlées, ta famille est montrée du doigt. »

Passage dans le sas de désinfection pour un membre du personnel soignant au centre de traitement des épidémies de Nzérékoré.
Passage dans le sas de désinfection pour un membre du personnel soignant au centre de traitement des épidémies de Nzérékoré. © RFI/Carol Valade

À cela s’ajoute le discours incriminant la consommation de viande de brousse comme origine de l’épidémie. « Ce n’est que l’une des nombreuses hypothèses envisagées, souligne Frédéric Le Marcis, tout le monde en consomme ici, or, une seule famille est tombée malade. Il faut rester prudent, car ce stéréotype visant les habitants de Guinée forestière alimente un sentiment de stigmatisation. »

La mort d’un agent de santé sonne l’alarme

« Si tu viens de Gouecké, les gens ont peur et te rejettent, le contact n’est plus comme avant », regrette le père Gabriel Lamah, vicaire de la ville où les patients ont déserté le centre de santé, malgré ses bâtiments modernes et le portrait jovial du ministre Remy Lamah qui orne sa devanture. D’habitude rempli les jours de marché, il n’accueille aujourd’hui qu’un seul malade, trop mal en point pour partir se faire soigner ailleurs.

Ici travaillait « maman Lucie », une infirmière de 51 ans, premier décès connu de la résurgence. Comme lors de la précédente épidémie, apparue dans la même région à la même période de l’année, la mort d’un agent de santé sonne l’alarme. Des équipes de recherches sont à pied d’œuvre mais le mystère qui entoure encore l’origine de la transmission du virus alimente aussi la peur.

En 2014, un malade d’Ebola pris en charge au Centre de traitement des épidémies (CTEPI) de Nzérékoré n’avait qu’une chance sur 4 de s’en sortir. « Aujourd’hui, grâce au traitement à base d’anticorps qui a déjà fait ses preuves en RDC, le taux de mortalité a fortement réduit ». Le docteur Dally Muamba de l’ONG Alima qui gère le centre se veut rassurant malgré les inquiétantes combinaisons intégrales portées par ses équipes.

Tandis que le jour décline sur les petites maisons orangées, une demi-douzaine d’hommes chargent un corps à bord d’un pick-up de la Croix-Rouge aux couleurs délavées par le chlore. Ils ont le regard noir de ceux qui font le sale boulot.

Pour les cas suspects qui décèdent hors du centre, ils doivent affronter les peurs et les réticences des familles pour procéder à un enterrement sécurisé et effectuer un prélèvement, faute de quoi la maladie continuera de se propager.

Avec RFI