« Malgré une visibilité accrue de la question du racisme, des incidents de brutalité policière et de discrimination raciale à l’encontre des personnes d’ascendance africaine continuent de se produire dans le monde », a affirmé vendredi la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet.
S’adressant au Conseil des droits de l’homme à Genève, Michelle Bachelet a indiqué qu’il était « impératif de mettre fin aux violences policières ». Cependant, le monde n’y parviendra pas tant que la communauté internationale n’aura pas compris que « l’impunité pour les violences commises par la police et des autres fonctionnaires chargés de faire respecter la loi à l’encontre des Noirs n’est pas isolée ».
Une façon de rappeler que les autorités policières et judiciaires sont le reflet de nos sociétés. « Et que si on ne s’attaque pas au racisme systémique au sein de toutes nos institutions, nous ne pourrons jamais {réparer} la police à elle seule », a averti Mme Bachelet, ajoutant que pour mettre fin à « l’injustice raciale dans l’application de la loi », il ne faut surtout pas se « contenter de voir la partie visible de l’iceberg ».
« Nous devons faire face à la masse sous la surface », a-t-elle expliqué, insistant sur la prise en compte ou la compréhension des « racines des inégalités actuelles et du racisme non reconnu et non corrigé sur lequel elles se sont développées ».
Dix mois après le meurtre de Floyd, la douleur de tant de familles est niée
Cette sortie de la Haut-Commissaire Bachelet à Genève intervient près de dix mois après que le meurtre de George Floyd aux Etats-Unis. Un assassinat qui a déclenché « de nouvelles vagues d’indignation et de demandes de changement à travers le monde ». « Un procès clé lié à son assassinat s’ouvre maintenant », a rappelé l’ancienne Présidente chilienne.
Mais cette occasion cruciale et déterminante d’obtenir justice pour M. Floyd est refusée à d’innombrables autres familles. « Tant d’affaires concernant la mort de personnes d’origine africaine ne sont jamais portées devant les tribunaux, et la douleur de tant de familles n’est pas reconnue, voire niée », a-t-elle regretté.
A ce sujet, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU a rappelé avoir rencontré personnellement la semaine dernière plusieurs membres de familles de femmes, d’hommes et d’enfants d’origine africaine tués par des agents des forces de l’ordre. « J’ai été profondément émue par leur courage et leurs descriptions de l’impact et du traumatisme permanent de la perte si soudaine et si violente de leur enfant ou de leur frère ou sœur », a dit Mme Bachelet aux Etats membres du Conseil.
D’une manière générale, elle a été frappée par « les difficultés similaires rapportées dans leurs interactions avec la police et les autorités judiciaires dans leurs luttes pour obtenir justice ».
Certains gouvernements ne font pas assez contrer le racisme systémique
« Bien que certaines de ces affaires soient encore en cours, cette méfiance à l’égard du système et le refus signalé des autorités d’enquêter objectivement sur toutes les circonstances des meurtres dans lesquels la race est un élément constitutif, sont des caractéristiques communes de leur expérience », a fait valoir Mme Bachelet.
Plus largement, de nombreuses familles consultées ont clairement « le sentiment que leurs gouvernements ne font pas assez pour reconnaître ou contrer le racisme systémique dans l’application de la loi et la justice ».
L’autre défi, c’est le constat d’une absence de reddition des comptes pour les responsables de violations des droits humains.
A cet égard, Mme Bachelet s’est dit profondément préoccupée par l’ampleur des difficultés que les familles signalent dans leur quête de vérité et de justice. « Ces familles sont confrontées à de longues procédures et à des retards, et reçoivent souvent peu ou pas d’aide juridique ou de soutien financier et psychologique », a détaillé la Haut-Commissaire.
Nombre de ces familles ont raconté qu’on leur avait refusé l’accès aux preuves, qu’on leur avait refusé des informations régulières et en temps voulu, et même l’autorisation de récupérer les corps de leurs proches. Elles disent avoir été « ignorées et traitées avec mépris, leurs préoccupations rejetées ».
« Aucun agent de police ne devrait jamais être au-dessus de la loi »
Dans ces conditions, cela leur donne le sentiment d’être « ignorées, dévalorisées et déshumanisées ». « Certains membres de la famille et certaines victimes nous ont également fait part de graves allégations d’intimidation et de harcèlement, ainsi que d’allégations troublantes selon lesquelles des preuves ont été placées et des parjures commis pour éviter que les membres des forces de l’ordre ne soient traduits en justice », a poursuivi Mme Bachelet.
Or pour la cheffe des droits de l’homme de l’ONU, aucun agent de police ou autre agent de l’État ne devrait jamais être au-dessus de la loi. « Je veux être très claire : l’impunité pour les crimes qui ont pu être commis par des agents de l’État est profondément dommageable pour les valeurs fondamentales et la cohésion sociale de chaque nation », a-t-elle fait remarquer.
Sur un autre plan, il s’agit pour la communauté internationale de se pencher sur l’héritage de l’esclavage, du commerce transatlantique d’Africains réduits en esclavage et du contexte de la colonisation. Pour l’ONU, il s’agit ainsi de « reconnaître les siècles de politiques et de systèmes discriminatoires sur le plan racial qui ont suivi l’abolition officielle de l’esclavage ».
« Nous devons nous engager dans une action transformatrice qui, en regardant longuement en arrière, nous permettra de faire un pas de géant en avant », a insisté Mme Bachelet, saluant au passage l’annonce récente d’engagements politiques, ainsi que les initiatives locales et nationales visant à œuvrer pour la justice raciale.
Ce sont certes « des étapes importantes », mais pour Mme Bachelet, « elles ne peuvent avoir un impact réel que si elles s’inscrivent dans le cadre d’actions larges et durables qui placent les personnes d’ascendance africaine au centre ».