Le président français a entamé une visite au Rwanda le 27 mai. Cette visite historique devrait marquer une nouvelle étape dans la normalisation des relations entre Paris et Kigali.
Emmanuel Macron a déclaré qu’il en était venu à reconnaître les « responsabilités » de la France dans le génocide des Tutsis de 1994. Il n’a pas présenté d’excuses officielles mais a adressé un subtil appel au pardon aux victimes.
“Seuls ceux qui ont survécu aux horreurs peuvent peut-être pardonner, donnez-nous le cadeau du pardon.” Avec ces mots soigneusement élaborés, prononcés le 27 mai au Mémorial du génocide de Kigali, le président Macron s’est adressé directement aux rescapés du génocide commis en 1994 contre la population tutsie du Rwanda. C’était une demande subtile de pardon, au lieu des excuses attendues. Macron a déclaré qu’il en était venu à « reconnaître les responsabilités de la France » dans ce génocide. La France « n’a pas été complice » du génocide, a-t-il dit, mais elle a le devoir « d’affronter l’histoire de front et de reconnaître les souffrances qu’elle a infligées au peuple rwandais en privilégiant trop longtemps le silence à l’examen de la vérité ». « En voulant empêcher un conflit régional ou une guerre civile, il défendait en fait un régime génocidaire. En ignorant les avertissements des observateurs les plus lucides,
Emmanuel Macron a mis un terme aux spéculations mardi 18 mai, à l’issue d’un sommet à Paris sur la relance des économies africaines frappées par le Covid, auquel a participé le président rwandais Paul Kagame. « Je confirme mon voyage au Rwanda fin mai. Cette visite portera sur les questions et thèmes politiques, mémoriels, économiques et de santé qui affectent l’avenir », a déclaré le président français. « Ensemble avec le président Kagame, nous nous engageons à tourner une nouvelle page de notre relation et à construire de manière constructive. »
C’est ainsi que le chef de l’Etat français était au Rwanda le 27 mai, une semaine après avoir reçu Kagame, pour relancer des relations bilatérales tendues depuis 27 ans en raison du rôle controversé de la France au Rwanda avant, pendant et après le génocide des Tutsi de 1994.
Lorsqu’on lui a demandé s’il présenterait les excuses de la France à Kigali comme les États-Unis, les Nations unies et la Belgique l’ont déjà fait, Macron avait répondu à la presse le 18 mai : « Ce que j’ai à dire là-bas, je le dirai à ce moment-là. Kagame avait indiqué la veille dans une interview au journal Le Monde : « Je laisse au président Macron le choix des mots. Des excuses ne peuvent pas venir sur demande. Ils doivent être sincères. Ce n’est pas à moi, ni à qui que ce soit d’autre, de demander des excuses. »
LA FRANCE EST RESPONSABLE MAIS PAS « COMPLICE »
Cette visite, la deuxième d’un président français au Rwanda depuis 1994, intervient après la publication de deux rapports sur le rôle de la France au Rwanda de 1990 au génocide de 1994. Le premier rapport, appelé « Commission Duclert », a été remis à Macron le 26 mars, après l’avoir commandé deux ans plus tôt à un groupe d’historiens français. Elle concluait que la France, alors dirigée par François Mitterrand et principal allié occidental du régime hutu à Kigali à l’époque, portait « des responsabilités lourdes et accablantes ». « Les autorités françaises ont fait preuve d’un aveuglement continu dans leur soutien à un régime raciste, corrompu et violent », indique le rapport. L’enquête a toutefois écarté toute « complicité » de la France dans le génocide des Tutsis : « Si on entend par là une volonté de rejoindre l’entreprise génocidaire, il n’y a rien dans les archives pour le démontrer,
Le président rwandais a salué « une étape importante et un signal de changement », tout en annonçant que son pays aurait « son mot à dire ». Cela est venu avec la réception par le Rwanda le 19 avril d’un rapport qu’il avait commandé en 2017 au cabinet d’avocats américain Levy Firestone Muse. Ce rapport rejette l’idée de la cécité de Paris. « L’État français n’était ni aveugle ni inconscient d’un génocide prévisible », indique le rapport Muse. Pour les auteurs, la France a continué à apporter un « soutien indéfectible » au régime du président Juvénal Habyarimana, alors même qu’elle savait qu’il préparait un génocide. Comme le rapport Duclert, le rapport Muse ne conclut pas à la complicité de la France dans le génocide.
« UNE ÉTAPE IMPORTANTE »
“Ces deux rapports arrivent à des conclusions différentes, mais ils ont en commun de faire bouger les lignes et d’ouvrir un nouvel espace politique”, a réagi la présidence française, saluant une “étape importante”. Le chef de la diplomatie rwandaise, Vincent Biruta, venait de déclarer dans une interview au journal Le Monde que son pays « ne portera pas cette question devant un tribunal ». Ce ton contraste avec celui d’un autre rapport, publié en août 2008. Réalisé par une commission présidée par feu Jean de Dieu Mucyo, ancien ministre de la Justice et procureur général du Rwanda, ce rapport concluait que « l’État français a joué un rôle actif dans la préparation et l’exécution du génocide ». Le rapport Mucyo, qui impliquait 13 personnalités politiques et 20 militaires français,
Ce rapport accablant a été rendu public deux ans après la rupture des relations diplomatiques entre Kigali et Paris. Cette rupture fait suite au lancement, le 22 novembre 2006, par le juge français Jean-Louis Bruguière de mandats d’arrêt contre neuf personnes proches de Kagame pour l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion de l’ancien président Habyarimana.
Après une longue série de procédures, la justice française a classé l’affaire le 3 juillet 2020. La cour d’appel de Paris a confirmé le non-lieu de l’enquête sur cette attaque, faute de preuves.
« C’EST UN BON DÉBUT »
Mais le Rwanda veut que la France fasse plus : juger tous les suspects de génocide présents sur son territoire. Mi-avril, deux Franco-Rwandais, dont le prêtre catholique Marcel Hitayezu qui travaille dans une paroisse du sud de la France, ont été arrêtés pour génocide et complicité de génocide. En mai 2020, la coopération française a conduit à l’arrestation près de Paris de l’homme d’affaires Félicien Kabuga, un parent aisé de la famille Habyarimana. Inculpé en 1997 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), il était le fugitif le plus recherché de la justice au monde.
« Je pense que c’est un bon début. On peut sans doute faire plus », a déclaré le président rwandais Kagame dans une interview accordée le 17 mai à RFI et France 24. Selon lui, de nombreux autres suspects sont en liberté sur le territoire français, dont Agathe Kanziga, veuve de Juvénal Habyarimana. « Elle est sur la liste, sur la très longue liste. Elle est au top. Mais c’est la France qui prendra la décision. Je ne vais pas donner de conseils. Jusqu’à présent, la France a refusé d’extrader les Rwandais recherchés par la justice de leur pays.
A Kigali le 27 mai, Macron n’a pas manqué de répondre à la demande rwandaise : « Reconnaître ce passé, c’est aussi et surtout poursuivre l’œuvre de justice, en s’engageant à faire en sorte qu’aucun suspect de crimes de génocide ne puisse échapper à l’œuvre de la juges », a-t-il déclaré.
Nicolas Sarkozy s’est rendu au Rwanda en février 2010. À cette époque, Sarkozy avait reconnu des « erreurs d’appréciation » de la part de ses prédécesseurs, mais s’était abstenu de s’excuser. “Ce qui s’est passé ici est une défaite pour l’humanité”, a reconnu le chef de l’Elysée. « Ce qui s’est passé ici oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir sur ses erreurs qui l’ont empêchée de prévenir et d’arrêter ce crime effroyable (…) Il faut regarder plus loin, organiser la réconciliation. Des erreurs d’appréciation, des erreurs politiques ont été commises ici et ont eu des conséquences absolument dramatiques”, a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse conjointe avec le président Kagame.
LA BELGIQUE DEMANDE PARDON
Dix ans plus tôt, la Belgique, par la voix de son Premier ministre de l’époque Guy Verhofstadt , était allée plus loin. « Au nom de mon pays, je m’incline devant les victimes du génocide. Au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon”, a déclaré le chef du gouvernement belge. « J’assume ici devant vous la responsabilité de mon pays, des autorités politiques et militaires belges », a déclaré Verhofstadt à de hauts responsables rwandais.
La Belgique, l’ancienne puissance coloniale du Rwanda, disposait d’un important contingent militaire déployé sous la bannière des Nations Unies en 1994. Après l’assassinat de dix casques bleus belges le 7 avril par des éléments de l’armée gouvernementale rwandaise, Bruxelles a décidé de retirer ses troupes, laissant le champ libre pour les tueurs.
BILL CLINTON RECONNAÎT SA RESPONSABILITÉ
La Belgique a été précédée sur cette voie par les États-Unis. Lors d’une visite de trois heures à Kigali le 25 mars 1998, le président Bill Clinton a déclaré depuis l’aéroport international de Kigali : « La communauté internationale, ainsi que les nations africaines, doivent également porter leur part de responsabilité dans cette tragédie. Nous n’avons pas immédiatement appelé ces crimes par leur nom légitime : génocide.
« Partout dans le monde, il y avait des gens comme moi assis dans des bureaux, jour après jour, qui n’appréciaient pas pleinement la profondeur et la vitesse avec laquelle vous étiez englouti par cette terreur inimaginable », a déclaré Clinton à une audience qui comprenait le génocide rwandais. survivants.
ADMISSION DE L’ÉCHEC PAR L’ONU
Les 7 et 8 mai de la même année, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, était également au Rwanda.
Pour ce qu’il a appelé une « mission de guérison ». Lors de sa visite, feu Annan a reconnu l’échec de l’ONU en 1994. « Nous devons et nous reconnaissons que le monde a échoué au Rwanda à cette époque de mal », a-t-il déclaré. « La communauté internationale et les Nations Unies n’ont pas pu rassembler la volonté politique d’y faire face. Le monde doit profondément se repentir de cet échec.
Venant de l’homme qui était en charge des opérations de maintien de la paix de l’ONU au moment du génocide, ces mots ne sont pas bien passés. Les autorités rwandaises sont allées jusqu’à boycotter la réception organisée en l’honneur du chef de l’ONU. Le chef de la diplomatie rwandaise, Anastase Gasana, aujourd’hui en exil, a appelé à une commission d’enquête sur le rôle de l’ONU dans le génocide et a exigé des compensations pour les survivants.
Aucun mot, cependant, n’était plus sensible et plus attendu que ceux de la France. Près de trois décennies après le génocide des Tutsi, la visite du président Macron était à la fois une reconnaissance du fardeau de l’histoire et le signal d’une volonté de le surmonter dans l’intérêt géopolitique des deux pays. Il n’a pas présenté d’excuses d’État mais a fait une véritable demande de pardon auprès des rescapés rwandais.