Massacres, enlèvements, tortures et violences sexuelles sont le quotidien des civils dans la région éthiopienne du Tigré, a dénoncé mercredi une enquête conjointe de l’ONU et de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, relevant une « brutalité extrême » dans le conflit tigréen où « de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité » auraient été commis par toutes les parties du conflit.
« Il existe des motifs raisonnables de croire que toutes les parties au conflit dans la région du Tigré ont, à des degrés divers, commis des violations du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit international des réfugiés, dont certaines peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité », souligne le rapport conjoint de la Commission éthiopienne des droits de l’homme (EHRC) et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies.
« Le conflit au Tigré est marqué par une brutalité extrême », a jugé Michelle Bachelet, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme.
« La gravité des violations et des atteintes que nous avons recensées souligne la nécessité de tenir leurs auteurs responsables, quel que soit leur camp », a-t-elle mis en garde lors d’une conférence de presse à Genève.
Le rapport dénonce, témoignages à l’appui, des « attaques aveugles contre les civils, des exécutions extra-judiciaires, de la torture, des enlèvements et des détentions arbitraires ou encore des violences sexuelles et des pillages ». D’une manière générale, le document examine l’impact dévastateur du conflit sur les civils et détaille une série de violations et d’abus.
Mardi, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a jugé extrêmement préoccupant l’escalade de la violence en Éthiopie et la récente déclaration de l’état d’urgence. Dans un communiqué publié par son porte-parole, il a déclaré que « la stabilité de l’Éthiopie et de la région au sens large est en jeu ».
M. Guterres a réitéré son appel à une cessation immédiate des hostilités et à un accès humanitaire sans restriction pour fournir une assistance vitale d’urgence aux régions du Tigré, d’Amhara et d’Afar. Le chef de l’ONU demande également « un dialogue national inclusif pour résoudre cette crise et jeter les bases de la paix et de la stabilité dans tout le pays ».
Meurtres et exécutions extrajudiciaires
Selon le rapport, les Forces de défense nationale éthiopienne (ENDF), les Forces de défense érythréenne (EDF), les Forces spéciales amhara (ASF), les Amhara Fano et d’autres milices d’une part, et les Forces spéciales tigréennes (TSF), les milices tigréennes et d’autres groupes alliés d’autre part, ont perpétré des meurtres et exécutions extrajudiciaires.
Le rapport explique en détail comment, les 9 et 10 novembre 2020, un groupe de jeunes Tigréens connu sous le nom de Samri a tué plus de 200 civils de l’ethnie Amhara à Mai Kadra. Des meurtres de vengeance ont ensuite été commis à Mai Kadra contre des Tigréens de souche après que l’ENDF et la FAA eurent capturé la ville.
Le 28 novembre, l’EDF a tué plus de 100 civils, principalement des jeunes hommes, à Axoum, dans le centre du Tigré.
« Des crimes de guerre ont pu être commis car il existe des motifs raisonnables de croire que des personnes ne participant pas directement aux hostilités ont été délibérément tuées par les parties au conflit », indique le rapport.
Des victimes battues avec des câbles électriques
Toutes les parties ont infligé des mauvais traitements aux civils et aux combattants capturés.
La torture est endémique, « les victimes battues avec des câbles électriques et des barres de fer, détenues au secret, menacées avec des armes à feu braquées sur leur tête et privées de nourriture ou d’eau ».
Les civils du Tigré occidental ont été torturés et maltraités principalement en raison de leur identité ethnique d’Amhara. Ailleurs, des soldats et des combattants capturés, ainsi que des civils soupçonnés de leur apporter un soutien, ont été torturés.
Le rapport détaille également la manière dont les forces tigréennes ont également soumis les soldats gouvernementaux capturés à la vue et aux insultes du public.
Massacres suivis de représailles contre des civils
Plus largement, le rapport fait aussi état de massacres suivis de représailles qui ont coûté la vie à des centaines de civils. Il souligne également que toutes les parties au conflit ont directement ciblé des civils et des écoles, hôpitaux ou lieux de culte.
Parmi les incidents détaillés dans le rapport, le 28 novembre, 2020, des bombardements tirés depuis une zone montagneuse sous le contrôle de l’ENDF ont touché plus de 15 installations civiles à Mekele, tuant au moins 29 civils et en blessant au moins 34.
« Face à l’escalade du conflit, avec des civils toujours pris au piège, il est essentiel que toutes les parties entendent les appels répétés à mettre fin aux hostilités et à rechercher un cessez-le-feu durable », a ajouté Mme Bachelet.
Détentions arbitraires, enlèvements et disparitions forcées
Les Forces de défense nationale éthiopienne (ENDF) ont détenu des personnes dans des lieux secrets et des camps militaires, dans de nombreux cas de manière arbitraire, selon le rapport.
Les forces tigréennes et les groupes qui leur sont alliés ont détenu et enlevé arbitrairement des civils non tigréens, dont certains ont été tués ou ont disparu.
« Ce rapport est l’occasion pour toutes les parties de reconnaître leur responsabilité, de s’engager à prendre des mesures concrètes en matière de responsabilité et de réparation aux victimes, et de trouver une solution durable pour mettre fin à la souffrance de millions de personnes », a déclaré Daniel Bekele, Commissaire en chef de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, cité dans un communiqué du Haut-commissariat
L’enquête a été menée conjointement par ses services et la Commission éthiopienne des droits de l’homme – créée par le gouvernement éthiopien – sur le conflit qui fait des ravages depuis un an.
Viols collectifs, grossesses non désirées et des cas de violences sexuelles contre des hommes
Le document couvre la période du 3 novembre 2020 – quand le Premier ministre Abiy Ahmed avait déclenché l’offensive contre les autorités dissidentes du Tigré – au 28 juin, date à laquelle Addis Abeba avait déclaré un cessez-le-feu unilatéral.
Par ailleurs, les enquêteurs ont rencontré des survivantes, dont presque la moitié ont été victimes de viol collectif mais aussi des cas de violences sexuelles contre des hommes et ils rapportent le cas d’un garçon de 16 ans, violé par des soldats érythréens, qui s’est ensuite suicidé.
Dans de nombreux cas, le viol et d’autres formes de violence sexuelle ont été utilisés « pour dégrader et déshumaniser les victimes », indique le rapport. « Beaucoup ont eu des grossesses non désirées et ont été infectées par des maladies sexuellement transmissibles », relève le document.
Pour la création d’un Mécanisme d’enquête international et indépendant
Le rapport préconise la création éventuelle d’une commission internationale d’enquête en vue de futures poursuites pour s’assurer que les auteurs seront redevables de leurs actes.
L’équipe d’enquête conjointe a aussi fait un certain nombre de recommandations, demandant notamment au gouvernement de poursuivre les auteurs de crimes et de mener des enquêtes rapides, approfondies et efficaces. Le gouvernement érythréen est exhorté à libérer immédiatement les Erythréens détenus dans le pays après avoir été forcés à revenir du Tigré où ils s’étaient réfugiés.
La communauté internationale doit elle aussi s’assurer que les auteurs seront redevables de leurs actes, en mettant sur pied une commission internationale d’enquête en vue de futures poursuites.
ONU Info