Les ambassadeurs et autres chefs de missions diplomatiques ont été reçus en audience le mercredi, 10 janvier à Conakry, par le ministre des Affaires étrangères.

Au cours de leurs échanges, il a été question d’évoquer les restrictions de l’Internet, des médias et des réseaux sociaux.

Prenant la parole devant le chef de la diplomatie guinéenne, l’ambassadeur de France, Marc FONBAUSTIER, a égrainé leurs préoccupations en ces termes : « Si nous sommes venus vous voir, c’est parce que, c’est une démarche d’amitié pour la Guinée bien sûr. Le fonctionnement des missions diplomatiques et consulaires est quelque chose d’important pour la Guinée bien sûr mais aussi pour nous et nos capitales. Il se trouve que les mesures qui semblent avoir été prises depuis fin novembre, portent une réelle atteinte au fonctionnement régulier de nos missions. »

Et d’expliquer : « En ce qui concerne mon travail d’ambassadeur de France, je vois trois atteintes liées à cette situation qui me posent des difficultés. Deux qui ne vous paraîtront pas majeures, mais une qui l’est. Les deux premières, c’est que je ne peux plus travailler depuis ma résidence avec mes moyens de communication dédiés avec le ministère, parce que je n’ai pas de liaison satellite. Donc les canaux et les tunnels VPN ne sont plus disponibles.

Deuxièmement, quand je suis dans mon véhicule de fonction, et que je viens par exemple pour vous rendre visite (…), cet instrument qui m’a été donné par mon gouvernement, ne peut plus non plus être opérant. Ce sont deux illustrations concrètes.

La troisième beaucoup plus importante, c’est celle qui concerne les visas. Je travaille actuellement avec deux tunnels VPN dont l’un n’est pas opérant. Ce qui fait que je suis à 50% de ma capacité de délivrance des visas. Je pense que c’est quelque chose qui parle à tout le monde et je suis persuadé que je ne suis pas la seule mission diplomatique dont la mission consulaire est en ce moment affectée et impactée par les mesures d’ordre général.

C’est la remarque numéro un. La deuxième, c’est qu’en tant qu’ami de la Guinée et nous le sommes tous (…), je ne pense pas que pour nos ambassades, il soit facile aujourd’hui, de convaincre des opérateurs économiques, de venir investir en Guinée quand ils ne sont pas certains de pouvoir communiquer, s’informer et échanger normalement. Autrement dit, l’image pays à laquelle nous sommes attachés (…) est actuellement affectée négativement et gravement. J’espère, monsieur le ministre, que nous pouvons trouver aussi des solutions pratiques, si cette situation de pénurie devait durer longtemps. Il faudrait peut-être réfléchir à une solution amiable qui permette de restaurer le fonctionnement normal des missions consulaires. ».

Pour sa part, SEM Jolita PONS, Ambassadrice, Chef de la Délégation de l’Union européenne en Guinée, précisant qu’il s’agit d’une préoccupation particulière à l’UE, affirme : « (…) Pour nous, les restrictions dont font l’objet certains groupes de médias, et aussi celles d’accès aux réseaux sociaux, posent, au-delà des problèmes de communication, ceux des libertés d’expression (…). C’est un problème très sérieux parce qu’à part la liberté des citoyens, c’est un problème de réputation pour la Guinée. Donc on se pose beaucoup de questions. Entre autres, dans quelle mesure ces restrictions sont justifiées, proportionnées, nécessaires. Et en tant qu’amis de la Guinée, on se demande, se pose aussi la question de savoir si ces restrictions ne sont pas contre-productives ? Parce que bien sûr qu’on souhaite tous que cette année 2024, considérée comme cruciale pour la transition se passe dans le climat le plus paisible possible… Ce sont nos préoccupations et c’est notre devoir en tant qu’amis de la Guinée de vous en faire part. D’autant plus que la Guinée a des engagements internationaux en la matière ».

A son tour, l’ambassadeur de l’Allemagne, Ulrich Meier-Tesch a évoqué la même préoccupation que ses prédécesseurs : « (…) Je souffre des mêmes problèmes de communication que Marc. Ça veut dire que dès que je suis en dehors de l’ambassade, je ne peux plus communiquer par mail, whatsapp, etc. ça c’est quelque chose qui gêne beaucoup dans le travail. J’ai quatre (4) sur sept (7) collègues qui roulent à essence (…). Il y a une déjà qui doit arrêter de venir à l’ambassade, pour travailler à la maison parce que son réservoir est au quart qu’elle doit garder pour des situations d’urgence.

Si ça continue encore la semaine prochaine ou les deux prochaines semaines, ça risque de faire arrêter le travail à l’ambassade. Mais, notre premier souci, c’est la situation de la liberté de la presse, la liberté de s’informer pour les citoyens qui s’est beaucoup limitée.  Ça donne une très mauvaise image à la Guinée (…). Il y a naturellement beaucoup d’organisations internationales qui distribuent cette information. Ce n’est même pas nous (…) Je suis un des plus anciens ambassadeurs en Guinée. Donc j’ai vécu les restrictions entre 2019 et 2020 sous Alpha Condé. Malheureusement, je dois constater que maintenant, la situation est pire, bien que le gouvernement de la transition était venu avec la position d’améliorer la situation. Mais là, dans le domaine de la liberté d’information et de presse, ce que le gouvernement a décidé maintenant va plus loin que ce qu’Alpha Condé n’a jamais décidé. Personnellement je trouve ça dommage ».

En réponse, le ministre des affaires étrangères Morissanda Kouyaté a tout d’abord remercié les diplomates avant de se pencher sur leurs préoccupations : « Il y a un mot pilier qui a soutenu nos échanges. C’est le mot amical. Les ambassadeurs nous ont dit qu’ils sont venus dans une démarche amicale. Et la Guinée est honorée de voir que nous ne sommes pas menacés, nous sommes dans une amitié. Je voudrais les remercier pour cette démarche et dire que la Guinée aussi a reçu les ambassadeurs dans une atmosphère amicale. Les préoccupations qui ont été posées ici sont les préoccupations de tout le monde. Les difficultés qu’il y a au niveau des ambassades, c’est les mêmes difficultés qu’il y a dans nos départements ministériels. Quant aux problèmes de connexion, c’est les mêmes problèmes qu’il y a à la présidence. (…).

J’ai dit que le gouvernement n’a pas un VPN personnel pour dire que nous sommes en dehors des difficultés. Nous sommes tous affectés. Nous sommes affectés par un problème sécuritaire. C’est cela et on ne peut aller plus loin. Mais ensemble avec eux, nous allons pouvoir travailler pour résoudre ces problèmes et aller le plus tôt possible parce que nous sommes en développement, nous avons besoin de toutes ces choses. Mais tout cela se dit quand il y a la sécurité (…).

Se disant encore satisfait de l’atmosphère, il réitère : nous allons ensemble avec eux, faire face à ces choses pour trouver le juste milieu, et voir comment la Guinée peut continuer et doit continuer sa marche vers la transformation de ce pays ».

TAOB