Plongée dans les crises récurrentes depuis l’histoire de tirage ou de ‘’triage’’ de trois de ses membres, la Cour constitutionnelle guinéenne n’honore plus un guinéen à plus forte raison la nation guinéenne.
Pour comprendre l’ampleur de cette déconvenue, il me semble opportun de rappeler les attributions constitutionnelles de la Haute Cour constitutionnelle de la Guinée (comme l’appellent les malgaches).
En effet, conformément aux dispositions de l’article 93 de la constitution guinéenne du 07 mai 2010 « la Cour constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle, électorale et des droits et libertés fondamentaux.
Elle juge de la constitutionnalité de lois, des ordonnances ainsi que de la conformité des traités et accords internationaux à la constitution.
Elle garantit l’exercice des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques.
Elle veille à la régularité des élections nationales et des référendums dont elle proclame les résultats définitifs.
Elle est l’organe régulateur du fonctionnement et des activités des pouvoirs législatif et exécutif et des autres organes de l’Etat. »
« Que faire ? Que prévoit la constitution quand l’institution spécialement chargée de réguler le fonctionnement des autres institutions, est elle-même minée par des dissensions internes… ? » (Editorial de la revue n°9 de la FSJP de Sonfonia).
Pour garantir son indépendance et renforcer son autorité, la Cour est mise hors de la hiérarchie de toutes les institutions républicaines. Protégée contre l’otage des pouvoirs publics dont elle est sensée contrôler et réguler, la Cour constitutionnelle guinéenne devient son propre otage.
L’histoire est têtue et ironie du sort, cette même Cour était amenée à se prononcer sur une autre crise semblable qui minait la Commission Electorale Nationale Indépendante (C.E.N.I), une autre institution régalienne chère à la Guinée. A l’occasion, elle a définitivement réglé le problème.
La présente contribution au débat sur la crise à la Cour constitutionnelle nécessite l’éclaircissement de certains points dont trois retiennent notre attention :
- Sur l’opportunité de la destitution du Président
Méfiez-vous de la mélodie des sirènes révisionniste, car si……Depuis décembre 2015, cette phrase est devenue le secret de polichinelle. Mais en réalité, elle ne devait pas l’être pour celui qui s’y connaît un peu dans la procédure de délibération de la Cour. L’intérêt de cette phrase est qu’elle attire l’attention des observateurs sur l’éventualité d’un troisième mandat du Président en exercice.
Comment les juges constitutionnels prennent leurs décisions ?
La Cour constitutionnelle, composée de neuf membres, prend ses décisions par voix délibérative à la majorité de ses membres. La voix du Président ne devient prépondérante qu’en cas d’égalité entre deux camps. Tous les juges sont solidaires à toutes les décisions prises par la Cour, sans possibilité d’options dissidentes. Ce qui revient à dire que le Président seul ne peut pas empêcher la Cour de prendre sa décision dans tel ou tel sens. Dès lors, le débat sur le fait que Mr Kélèfa constitue le dernier verrou n’a pas lieu d’être. La raison doit être à ailleurs.
- De la compétence de l’Assemblée nationale dans le règlement de la crise à la Cour constitutionnelle
Il faut commencer par préciser que les textes juridiques guinéens ne prévoient aucune disposition donnant compétence à l’Assemblée nationale dans le règlement de la crise à la Cour constitutionnelle. Au contraire c’est cette dernière qui est habilitée à intervenir dans la crise concernant le Parlement. Les compétences de l’Assemblée nationale se limitent au vote des lois (une attribution exclusive en Guinée d’ailleurs), le contrôle de l’action gouvernementale et la désignation de ses représentants pour certaines institutions comme la Cour constitutionnelle, le Conseil Economique et Social, … On se demande même par quel acte l’Assemblée pourra se prononcer sur la destitution du Président d’une institution de cette dimension. Il faut préciser que la procédure qui vise actuellement Mr Kélèfa SALL ne concerne que sa qualité de Président et non celle de juge constitutionnel (Conseiller).
- Les pouvoirs du Président de la République dans la crise à la Cour constitutionnelle.
Conformément aux dispositions de l’article 45 de la Constitution guinéenne, «le Président de la République…veille au respect de la constitution.
Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat. »
La crise qui secoue actuellement notre Cour constitutionnelle peut entraîner, à la fois, la violation de la constitution, dont le Chef de l’Etat est gardien. Ensuite elle peut empêcher le fonctionnement régulier des pouvoirs publics dont la Cour fait partie.
Par exemple, en Guinée, tous les accords de prêts dont la Guinée signe et les lois organiques comme celle relative à la Commission électorale Nationale Indépendante (CENI) doivent être obligatoirement contrôlés par la Cour constitutionnelle avant d’être signés par le Président de la République. Un tel dysfonctionnement est de nature à faire perdre la Guinée des opportunités de financement des projets et entraîner éventuellement le retard des échéances électorales à venir, si la nouvelle loi organique sur la CENI n’a jusqu’à présent pas été contrôlée par elle.
Eu égard à toutes ces considérations, on peut affirmer dans la quête de solution à cette crise, qu’à défaut d’une solution interne de la Cour, le Président de la République est la seule institution compétente à donner une solution définitive à cette cacophonie entre les neuf sages de la République. Je pense bien que la sagesse continuera à habiter les sages à fin de trouver une issue heureuse et éviter le coup de bâton du « grand Sauveur de la nation », car un adage africain nous enseigne que « l’incompréhension entre les chèvres permet à la hyène de trouver son dîner ».
Par Abdourahamane Wassolo DIALLO
Juriste/ Enseignant chercheur /Doctorant
(+224) 654-787-576