L’ancien président d’Afrique du Sud Nelson Mandela avec sa réplique en sculpture, présentée à Johannesbourg en 2006. [THE ASSOCIATED PRESS]

Les plus grands dirigeants africains ont suivi différentes approches pour gouverner, notamment en déléguant leur autorité et en donnant l’exemple.

Dans son autobiographie, Nelson Mandela relate sa rencontre avec le président de la Tanzanie en mars 1990.

« Nous sommes arrivés à Dar es Salam… et j’ai rencontré Julius Nyerere, le premier président du pays après l’indépendance », écrit M. Mandela dans Un long chemin vers la liberté. « Nous avons parlé dans sa maison, qui n’était pas du tout grandiose, et je me souviens qu’il conduisait lui-même une voiture toute simple, une petite Austin. Cela m’avait impressionné, parce que cela suggérait qu’il était un homme du peuple. »

La rencontre de ces deux hommes était inévitable. Nelson Mandela et Julius Nyerere étaient deux des leaders les plus admirés de leur génération, et ils continuent à définir le modèle idéal de l’éthique et de l’honneur du leadership. Il est difficile d’étudier la carrière de l’un d’eux sans découvrir de référence à l’autre.

« Leur pouvoir de donner l’exemple montre comment les leaders éthiques ont orienté leur nation vers la stabilité à travers les divisions internes et comment les normes éthiques ont été intégrées aux services de sécurité qu’ils ont laissés derrière eux », écrit Paul Nantulya du Centre africain pour les études stratégiques.

Un gouvernement moral lance un défi au monde entier. En mars 2001, le Conseil du leadership africain a proclamé la « Déclaration de Mombasa », qui affirmait la nécessité de gouvernements honorables et compétents en Afrique.

« Nous reconnaissons que le leadership, en particulier en Afrique, est difficile, précise la déclaration. Il existe beaucoup de défis, notamment la culture politique, la pauvreté, l’analphabétisme et la discorde. Nous nous sommes pourtant réunis à Mombasa pour maximiser et affirmer le potentiel du leadership positif sur notre continent. »

Les 10 leaders africains responsables de cette déclaration avaient déjà constaté les effets des mauvais gouvernements. Avec de mauvais leaders, ont-ils déclaré, « la corruption augmente. L’argent sort du pays dans des comptes bancaires dissimulés. La discrimination contre les minorités, et occasionnellement les majorités, devient répandue. Les guerres civiles éclatent ».

 

La déclaration spécifie les qualités des grands leaders : « les leaders positifs d’Afrique se distinguent par leur adhésion aux principes démocratiques participatifs et par leur force de caractère lucide, Les leaders transformationnels améliorent la vie de ceux qui les suivent, et ces derniers sont fiers de participer à une nouvelle vision. Les bons leaders obtiennent des résultats, que ce soit l’amélioration du niveau de vie ou des indicateurs de développement de base, de nouvelles sources abondantes d’opportunité personnelle, une éducation enrichie, des soins médicaux compétents, le droit de vivre sans criminalité, ou le renforcement de l’infrastructure. »

 

MANDELA, LEADER EMPRISONNÉ

Mandela a passé 27 ans en prison et, par nécessité, il a développé un style de leadership qui dépendait de l’initiative personnelle et des valeurs morales partagées. En tant que leader d’un mouvement dont les adhérents étaient, dans beaucoup de cas, soit incarcérés eux-mêmes soit en exil, M. Mandela a dû déléguer son autorité et diriger par la persuasion, plutôt que par des discours fougueux. Les adhérents devaient être décisifs plutôt que d’attendre pour recevoir des instructions officielles. Ils se sont perfectionnés comme penseurs indépendants. M. Nantulya déclare que Nelson Mandela a développé une culture de « leadership collectif » et d’« éthique partagée » que ses adhérents ont adoptée.

« Cette approche a continué lorsque M. Mandela est devenu président, selon Thabo Mbeki, son successeur », écrit M. Nantulya dans l’étude « Le futur stratégique de l’Afrique : La conséquence du leadership éthique ». « Alors qu’il définissait des principes généraux, il a laissé les activités quotidiennes de leadership et de mise en œuvre à des collègues plus jeunes. Ce faisant, il a aidé à créer une culture de rajeunissement du leadership et d’initiative. »

 

Mbeki disait que Nelson Mandela et ses adhérents devaient donner l’exemple. « Ils comprenaient constamment le besoin d’inspirer la confiance parmi ceux d’entre nous qui les suivaient, en faisant très attention à la façon dont ils se conduisaient en privé et en public. »

 

Mandela savait que donner l’exemple était un travail à temps plein. Après sa libération de la prison, il a commencé à rencontrer des leaders dans toute l’Afrique et il a écrit qu’il était considéré avec suspicion.

« Je savais que, au cours des années précédentes, quelques-uns de ceux qui avaient été libérés étaient allés à Lusaka et avaient chuchoté : “[Mandela] a perdu sa fermeté. Il a été acheté par les autorités. Il porte des costumes de trois pièces, il boit du vin et mange des plats raffinés.” Je connaissais ces chuchotements et j’avais l’intention de les réfuter. Je savais que la meilleure façon de les démentir était simplement d’être direct et honnête sur tout ce que j’avais fait. »

Lorsque Nelson Mandela a été élu premier président noir d’Afrique du Sud, il a annoncé qu’il servirait seulement pendant un mandat, bien que deux soient autorisés.

Dans leur livre intitulé Gagner à la longue : Comment les leaders stratégiques façonnent le futur, les auteurs Paul J.H. Schoemaker et Steven Krupp déclarent que M. Mandela était passé maître dans l’art de l’adaptation.

« Nelson Mandela illustre comment un leader stratégique ajuste la stratégie et l’exécution au milieu de forces sociales, politiques, judiciaires et économiques complexes sans compromettre ses valeurs profondément ancrées, écrivent-ils. Le leadership ne consiste pas seulement à motiver les gens et à créer un soutien politique pour une stratégie, mais aussi à garder un vaste soutien grâce à des ajustements successifs apportés au plan. »

 

NYERE LE MWALIMU

Le mot swahili mwalimu signifie « maître » mais en Tanzanie c’est aussi le surnom de Julius Nyerere, le président fondateur du pays. M. Nyerere croyait dans le concept africain de l’Ujamaa, qui signifie « fraternité ». Dans une étude de 2017, M. Nantulya déclare que Julius Nyerere était guidé par les principes du « leadership serviteur ». Les leaders serviteurs pratiquent « l’honnêteté, la responsabilité, la bonne gérance des ressources publiques, l’accessibilité au public et le gouvernement ouvert. »

L’approche de M. Nyerere au leadership était ancrée dans les influences de son enfance en tant que membre d’une tribu, et dans l’accent mis sur le consensus tribal. Elle était aussi ancrée dans les idéaux du christianisme, qu’il avait appris à l’école.

Son pays a gagné l’indépendance sans guerre, ce qui rend hommage à l’intégrité de M. Nyerere, à ses aptitudes d’orateur persuasif, à ses capacités formidables d’organisation et à sa capacité de travailler avec des groupes différents, notamment les colonialistes britanniques.

Julius Nyerere est devenu un personnage international qui a gagné du « prestige pour son soutien de principe accordé aux luttes pour le gouvernement par la majorité en Afrique du Sud, en Namibie, au Zimbabwe, au Mozambique et en Angola », selon un rapport du New York Times. Il a aussi ordonné une contre-offensive militaire contre Idi Amin de l’Ouganda, qui a mis en déroute les forces du dictateur et l’a contraint à l’exil.

Sous M. Nyerere, les valeurs de l’Ujamaa ont été enseignées à tous les niveaux dans les forces armées. « Cela s’est étendu aux services nationaux pour les jeunes, qui fournissaient un grand nombre de recrues potentielles, ainsi qu’à l’Académie Kivukoni pour les leaders civils et militaires de haut rang, écrit M. Nantulya. La règle exigeait que les membres civils et militaires soient formés ensemble aux niveaux intermédiaires et supérieurs, ce qui assurait au long terme des relations saines entre civils et militaires. »

Lorsque M. Nyerere est devenu président, la Tanzanie était l’un des pays les plus pauvres d’Afrique. M. Nyerere croyait que le socialisme serait un remède contre la pauvreté de son pays. Sous son leadership, la Tanzanie a enregistré de grandes avancées dans les domaines de la santé et de l’éducation. Mais du point de vue économique, le socialisme fut une expérience qui échoua finalement.

Nyerere a quitté la présidence en 1985 au bout de 24 ans. C’était le troisième leader africain à abandonner le pouvoir volontairement dans l’ère moderne, et il a pris sa retraite dans une ferme de son village natal près du lac Victoria.

Nyerere reste adoré dans toute la Tanzanie comme un homme de principe qui ne tolérait même pas une semblance de privilège. Son style de leadership a été décrit comme le leadership en donnant l’exemple, et en utilisant stratégiquement les institutions de l’état.

RAMGOOLAM ET KHAMA 

Robert I. Rotberg, qui a dirigé la création de l’indice de la gouvernance africaine, a déclaré que Seretse Khama, président fondateur du Botswana, et Seewoosagur Ramgoolam, premier leader de l’île Maurice, sont des exemples de gouvernance honnête et compétente.

Khama était président de 1966 à 1980 et on se rappelle qu’il a établi la fondation d’un gouvernement éthique et ouvert dans la jeune démocratie. « Leader modeste et non prétentieux, qui croyait vraiment dans l’idée du peuple gouvernant, M. Khama a forgé une culture politique participative visant au respect des lois, qui a continué sous ses successeurs », écrit M. Rotberg en 2005.

 

L’héritage de M. Khama continue. Le groupe de recherche Transparency International déclare que le Botswana a le plus bas niveau de perception de la corruption en Afrique, et ce depuis 20 ans. Le pays a enregistré une série ininterrompue d’élections démocratiques. Il a élu trois présidents depuis M. Khama, et son fils Ian a servi pendant 10 ans avant de quitter le pouvoir en mars 2018.

 

Ramgoolam était premier ministre de l’île Maurice de 1968 à 1982. Il a largement façonné la politique gouvernementale et la politique étrangère de son pays. Dans son rôle de premier ministre, il a établi l’éducation universelle gratuite et les soins de santé gratuits, tout en introduisant les pensions pour les personnes âgées. Bien que ses dernières années en tant que gouverneur n’aient pas été un succès complet (l’économie était en stagnation pendant quelque temps), il est considéré aujourd’hui comme le « Père de la nation ». Son fils Navis reçut trois mandats de premier ministre.

 

Ramgoolam, selon M. Rotberg, « a donné à Maurice un début démocratique robuste, qui a été maintenu par une série de successeurs avisés avec des origines et des partis différents ». Aujourd’hui, Maurice est classée au premier rang de tous les pays africains sur l’échelle de l’indice de développement humain, une statistique composite tenant compte de l’espérance de vie, de l’éducation et du revenu.

Khama et M. Ramgoolam, en tant que leaders, avaient l’opportunité de créer des régimes kleptocratiques dirigés par un homme fort, « mais ils ont refusé à le faire », déclare M. Rotberg.

LE PRÉSIDENT QUI EST PARTI

Un problème douloureux auquel font face beaucoup de pays africains concerne les leaders qui refusent de quitter leur poste. Ils modifient la constitution de leur pays pour autoriser plus de deux mandats, ils interfèrent dans les élections et ils refusent d’accepter les résultats des élections lorsqu’ils les perdent. Certains ont peur de quitter leur poste, sachant que leur successeur pourrait découvrir des preuves de leur corruption.

Un rapport du Centre africain pour les études stratégiques révèle que les pays qui mettent en application les limites des mandats pour les leaders sont moins sujets à des conflits armés que ceux dont les leaders restent en place indéfiniment.

Patrick Magero, maître de conférences à l’Université internationale des États-Unis – Afrique au Kenya, appelle cela le « problème du troisième mandat ».

« Le rôle des présidents à la retraite dans la société n’a jamais été clair, ce qui rend difficile la passation des pouvoirs pour la plupart des leaders, déclare-t-il, mais l’idée de respecter les limites des mandats s’implante dans le continent. »

Joaquim Chissano a respecté les limites de son mandat. Il était le deuxième président du Mozambique, en fonction de 1986 à 2005. Lorsqu’il est entré en fonction, son pays était aux prises avec une guerre civile qui avait commencé en 1977. Il a effectué des changements radicaux, en changeant notamment le modèle économique du socialisme au capitalisme. En 1990, son pays a adopté une nouvelle constitution qui a permis d’établir un système politique multipartite et d’organiser des élections libres. Il a entamé des pourparlers de paix avec les rebelles et la guerre civile a pris fin en 1992.

En 2001, cet homme populaire annonça qu’il ne serait pas candidat aux prochaines élections, décision qui fut considérée comme une critique des leaders tels que Robert Mugabe, qui en était alors à son quatrième mandat de président au Zimbabwe.

Lors du 68ème anniversaire de M. Chissano, la Fondation Mo Ibrahim lui décerna son premier prix de réussite en leadership africain. C’est un don d’un montant initial de 5 millions de dollars, suivi de sommes annuelles de 200.000 dollars pour la vie. Il rend hommage aux leaders africains « qui ont développé leur pays, qui ont fait sortir le peuple de la pauvreté, et qui ont montré la voie de la prospérité durable et équitable ». Le prix « assure aussi que l’Afrique continue à bénéficier de l’expérience et l’expertise de leaders exceptionnels lorsqu’ils quittent leur poste national, en leur permettant de continuer leur travail dans d’autres fonctions publiques sur le continent ».

Les juges de ce prix déclarèrent que « la décision de M. Chissano de ne pas briguer un troisième mandat présidentiel a renforcé la maturité démocratique du Mozambique et a démontré que les institutions et le processus démocratique étaient plus importants que la personne ».

Depuis la création du prix en 2006, il a été décerné seulement cinq fois.

 

Source: www.adf-magazine.com