(Agence Ecofin) – En juin dernier, l’Etat guinéen a conclu avec SMB-Winning une convention de base pour l’exploitation des blocs I et II de son gigantesque projet de fer Simandou. En signant cet accord avec un consortium avec lequel elle entretient de très bonnes relations sur la bauxite, la Guinée entend mettre en production rapidement ces grands gisements dont le développement a longtemps été retardé par des litiges juridiques. Dans un contexte de hausse des prix du minerai de fer, et après des décennies de tergiversations, l’heure de concrétiser le potentiel de Simandou semble avoir enfin sonné.
D’après un rapport de la Banque mondiale sur le marché des matières premières, paru ce mois d’octobre, le prix de la tonne sèche de minerai de fer a été en constante progression au cours du 3e trimestre. Fin septembre, elle s’est même négociée à 123,8 $, un niveau qu’elle n’avait plus atteint depuis deux ans.
Après la baisse des cours, constatée en début d’année, en raison de la pandémie de Covid-19, cette embellie représente pour les parties prenantes du projet de fer de Simandou un encouragement à aller au bout de leurs plans.
SMB-Winning, le choix de la raison
Lorsque la Guinée lance en 2019 un appel d’offres pour développer les blocs I et II du gisement de minerai de fer Simandou, plusieurs compagnies manifestent leur intérêt. En dehors du consortium SMB-Winning, l’autre soumissionnaire principal est l’australien Fortescue Metals Group, une des plus grandes entreprises d’extraction de minerai de fer au monde. Enthousiaste, sa PDG Elizabeth Gaines explique alors à Reuters que la participation de sa société à l’appel d’offres se justifie par le fait que Simandou est en accord avec son programme de développement actif d’affaires. Ledit programme consiste à s’intéresser aux « opportunités mondiales dans le secteur du minerai de fer et d’autres matières premières », conformément à sa stratégie et son domaine d’expertise.
Il faut croire que le statut de l’entreprise ou son offre ne séduisent pas tant que ça l’Etat guinéen qui préfère confier le développement des blocs à la SMB-Winning, un consortium regroupant des intérêts chinois, français, singapouriens et guinéens. Si SMB n’a aucune expérience dans l’exploitation du fer, son succès sur la bauxite et les leçons tirées par la Guinée de ses expériences passées ont plaidé en faveur de la compagnie.
« L’expérience récente de la Guinée nous pousse à croire de moins en moins que les grands noms suffisent à développer les projets. Par exemple, SMB n’était pas un grand acteur dans le domaine de la bauxite en Afrique, mais a su dynamiser le secteur de la bauxite en Guinée […] », expliquait en janvier dernier à l’Agence Ecofin, Saadou Nimaga, Secrétaire général du ministère guinéen des Mines, affirmant que l’offre de la SMB était plus intéressante en matière de proposition d’investissement et de projet minier à développer.
L’offre, selon M. Nimaga, prenait en compte toutes les préoccupations de l’Etat, principalement la réalisation du chemin de fer, y compris la création d’un corridor de croissance autour de l’infrastructure, ou encore une meilleure approche dans la mobilisation du financement.
Une offre pour concrétiser le potentiel de Simandou
En Guinée, l’exploitation des gisements de fer de Simandou est devenue un serpent de mer pour les populations. C’est sans doute pour cette raison que le nouvel accord n’a pas suscité tellement d’enthousiasme, car les multiples sociétés qui se sont succédé sur ce projet depuis des années n’ont presque jamais tenu leurs promesses.
Mais la donne pourrait bien changer, car la SMB semble avoir des capacités à la hauteur de ses ambitions. La société a déjà fait ses preuves avec la construction de diverses infrastructures routières, ferroviaires et portuaires ainsi que d’une raffinerie d’alumine afin de commencer l’exploitation des gisements de bauxite, dans la région de Boké.
Ainsi, la nouvelle convention conclue par SMB avec l’Etat guinéen n’est pas si différente de ce qu’elle fait déjà, si on occulte le financement beaucoup plus important nécessaire à ce nouveau projet. L’investissement total est estimé à 15 milliards $ qui seront notamment employés à la construction d’une voie ferrée d’environ 650 km (le Transguinéen) pour le transport du minerai, et d’un port en eau profonde sur les côtes guinéennes dans la province de Matakang afin d’exporter la production.
SMB estime pouvoir mobiliser environ 6 milliards de dollars sur fonds propres et doit donc trouver d’autres partenaires, en dehors des investisseurs chinois et singapouriens qu’elle représente. Tout cela tombe bien, car l’empire du Milieu s’implique directement dans ce projet, à travers la Commission de supervision et d’administration des actifs de l’Etat chinois. Cette dernière discuterait, selon des informations relayées par Bloomberg, avec diverses entreprises publiques pour les travaux de construction, mais aussi avec des bailleurs de fonds comme la Banque de développement de Chine et la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures.
En trouvant une partie du financement, la Chine, premier consommateur mondial de fer, cherche à s’assurer l’exclusivité sur un approvisionnement en minerai de fer de meilleure qualité et à étendre son empreinte en Afrique de l’Ouest.
Un point de départ pour bouleverser la hiérarchie mondiale dans le secteur
Le développement des blocs I et II de Simandou devrait booster l’économie guinéenne. Selon les chiffres présentés par le ministère des Mines, l’Etat devrait recevoir sur les 25 ans de la durée de la convention signée avec SMB des revenus de l’ordre de 15,5 milliards de dollars. En outre, le projet permettra de créer 30 000 emplois directs dans sa phase de construction. Les emplois indirects sont estimés à 65 000 pour la phase de construction et 20 000 pour la phase d’exploitation alors que le partenariat fait également état de la mise en œuvre d’un important programme de formation et de transfert de compétences en faveur des Guinéens.
Les chiffres annoncés, rien que pour les blocs I et II, donnent le vertige, surtout quand on sait que Simandou comprend encore deux autres blocs, actuellement dans l’escarcelle de Rio Tinto et Chinalco. Selon une mise à jour datant de mars 2018, ces deux autres blocs hébergeraient des ressources minérales de l’ordre de 2,757 milliards de tonnes, ce qui en dit long sur leur capacité de génération de revenus.
Quand il s’agit de parler de l’avenir de Simandou, l’histoire et les antécédents appellent à la prudence. Toutefois, en observant les derniers développements, on peut croire que le partenariat entre la SMB et l’Etat guinéen est bien parti pour porter des fruits. Le défi du gouvernement sera donc de rééditer l’éventuel futur succès sur les autres blocs afin de concrétiser la prédiction d’un rapport datant de 2014 qui estime que Simandou peut à lui seul faire de la Guinée le pays à la plus forte croissance au monde.
Une chose est certaine, si la Guinée commence par développer son minerai de fer, elle peut bouleverser le fonctionnement et la hiérarchie en vigueur dans le secteur. En effet, de l’avis de plusieurs experts, ainsi que des plus grands exportateurs de minerai de fer (y compris le Brésilien Vale), la teneur en fer du minerai de Simandou est bien supérieure à ce que proposent actuellement la plupart des acteurs de l’industrie. Cela devrait donc pousser les acheteurs, en particulier les usines chinoises, à se tourner vers la Guinée dans les prochaines années pour leur approvisionnement. Ceci, dans le but de faire face aux règles antipollution de plus en plus strictes liées au raffinage. Alors que l’Australie domine actuellement le marché mondial du minerai de fer avec des réserves de 50 milliards de tonnes et une production avoisinant le milliard de tonnes en 2018 selon Statista, cette qualité sera un atout supplémentaire que la Guinée pourra faire valoir.