Petite taille, lunettes sur la truffe, vêtu d’un simple tee-shirt blanc, Luigi déboule dans le box en marmonnant dans sa barbe de quatre jours. « Ah, je crois qu’on s’est déjà vus, constate la présidente. – Oui, malheureusement je connais la musique », souffle-t-il, fataliste. Le 22 juillet 2019, c’est son troisième rendez-vous devant la chambre des comparutions immédiates en l’espace d’un an. Début juin 2018, alors qu’il avait descendu plusieurs whiskys et que son permis lui avait été retiré trois mois plus tôt, il avait joué les Tommi Mäkinen sur la voie express reliant Nantes à Rennes. Les motards de la gendarmerie avaient réussi à immobiliser son Classe C break sur la bande d’arrêt d’urgence, après l’appel d’automobilistes inquiets de se faire doubler par la droite à fond de cale. Luigi, qui tenait à peine debout, était accompagné cet après-midi-là de sa chienne. Quand les gendarmes l’informèrent que l’animal allait finir dans un chenil, il leur répondit par des insultes et des menaces. Le tribunal le condamna quelques semaines plus tard à trois mois de sursis et mise à l’épreuve, avec interdiction de conduire pendant 18 mois.
En mars 2019, dans une bourgade voisine de celle de son domicile, Luigi se refaisait pincer en grillant un feu sous les yeux des mêmes gendarmes. Pas d’alcool dans le sang cette fois-ci, mais une nouvelle algarade avec les militaires. « Ce sont des compliments, car ils méritent bien pire », avait-il commenté. Lors de sa garde à vue, il avait bouché les toilettes de la brigade avec une couverture pour provoquer une inondation. Un acte de « désobéissance civile » selon lui. Il a été condamné deux jours plus tard à une peine de prison ferme avec maintien en détention.
Le point commun de ces deux passages à la barre ? À chaque coup, Luigi se retrouve évacué de la salle avant l’annonce du délibéré. Incapable de se contenir, il passe son temps à vitupérer contre l’État et ses représentants, qu’ils portent une robe ou un uniforme. Son avocat du jour, qualifié d’abruti, l’a ainsi rebaptisé le « king de l’outrage ». Bien au fait de la singularité du personnage, la présidente prend des pincettes au moment de démarrer par la formule d’usage : « Monsieur, je vous informe que vous pouvez vous exprimer ou choisir de garder le silence. » Cette seconde option, espérée par tous les tympans de la salle, va rapidement finir aux oubliettes. Car Luigi est en colère, pour changer. Ce lundi, il y a d’abord eu les trois longues heures d’attente au dépôt avant que l’escorte ne l’amène jusqu’en salle d’audience.
Arrivé à 13 h 30 au palais, il ne regagnera pas la maison d’arrêt avant 20 h minimum. Son estomac n’apprécie pas. « J’ai dû me dépêcher pour manger ce midi, et ce soir j’arriverai trop tard », grogne-t-il avec l’accent de sa Lombardie natale. Mais ce qui cristallise son bruit et sa fureur par dessus tout, ce sont bien ses relations avec les gendarmes de cette brigade du nord de Nantes. Trois jours auparavant, dans la nuit de vendredi à samedi, Luigi a vécu une nouvelle mésaventure avec eux. Appelée pour une embrouille rapidement contrôlée en sortie de boite, la patrouille a aperçu Luigi quitter le parking au volant de son 4×4. Les gendarmes ont décidé de suivre le véhicule qui zigzaguait et ne dépassait pas les 30 km/h. Un stop grillé plus tard et ce fut l’inévitable contrôle. Alors que les gendarmes lui demandaient s’il avait consommé de l’alcool, Luigi leur rendit vertement la pareille, puis refusa de souffler. La présidente demande des explications. « Je n’ai grillé aucun stop mais par contre, ces hommes de merde avaient picolé, s’entend-elle répondre. On embauche de la racaille à la gendarmerie. » Ça y est, la bête est lancée, traduit-on sur les visages des magistrats et des hommes de l’escorte. Interrogé sur le contexte avant son interpellation, Luigi claironne : « J’avais bu deux bières avant de venir et on m’avait offert un verre à l’intérieur, en discutant. Je profite de la vie et je vais en discothèque oui, même à mon âge. »
« Dites à ce monsieur que c’est un bâtard »
Bientôt âgé de 60 ans, célibataire sans enfant, il est arrivé en France à la fin des années 1990. Titulaire d’un bac S et d’un BTS électronique, il a bossé dans différents domaines : restauration, bâtiment, automobile. Considérant que son permis italien – « pris en otage à la préfecture » – est valable au regard du droit communautaire, Luigi continue de conduire normalement. « Je confirme, ce gendarme est un homme de merde », poursuit-il quand on lui demande s’il reconnaît les outrages. Quid du soulagement de sa vessie sur la porte de la cellule ? « C’était de la désobéissance civile, madame. » Quand arrivent les réquisitions du procureur, Luigi est à point. « Andouille ! Crétin ! », éructe-t-il successivement. Le procureur se contient et accélère le pas. Il demande six mois de prison ferme, avec mandat de dépôt. Luigi, qui s’est assis entre temps, se relève et interpelle la juge : « Dites à ce monsieur que c’est un bâtard. » C’est le mot de trop. Le prévenu est renvoyé en geôle. La salle retrouve son calme pour la plaidoirie de la défense.
On découvre alors l’origine de cette rancœur persistante envers les gendarmes. Ceux-ci tardent à traiter la plainte de Luigi, victime d’un cambriolage pendant son incarcération. « L’effectif de la brigade étant passé de 31 à 24 hommes, les procédures s’empilent, et mon client n’est pas une priorité », explique l’avocat. Déclaré coupable de conduite sans permis et d’outrage, Luigi est finalement condamné à quatre mois de prison, avec convocation ultérieure devant le juge d’application des peines. Il ressort libre, mais sans son 4×4, confisqué.