« Ce que nous avons appliqué avec la SMB à Boké, nous l’appliquerons à Simandou avec WCS. […] La première production commerciale du projet Simandou sera atteinte en 2025. » Fadi Wazni, fondateur & PDG de United Mining Supply (UMS). (Crédits : DR)
Acteur majeur du secteur minier guinéen depuis dix-neuf ans et particulièrement actif dans l’exploitation de la bauxite, le groupe United Mining Supply (UMS) a racheté début janvier le français Alteo, leader mondial des alumines de spécialité. Pour La Tribune Afrique, Fadi Wazni, fondateur et président-directeur général d’UMS, revient sur cette acquisition stratégique, annonce pour le 16 juin 2021 l’exportation de la première tonne de bauxite des gisements de Santou II & Houda et présente notamment l’état d’avancement du projet Simandou, le plus grand projet minier au monde.

La Tribune Afrique – UMS a donc pris le contrôle du leader mondial des alumines de spécialité, le groupe français Alteo, avec à la clé le développement d’une raffinerie en Guinée. Pourquoi avoir acquis une entreprise française plutôt qu’en créer une directement en Guinée où vous êtes désormais un « ancien » opérateur ?

Fadi Wazni – Tout d’abord, je tiens à préciser que le projet Alteo à Gardanne en France et le projet de raffinerie en Guinée sont complémentaires l’un de l’autre. Néanmoins, le projet de raffinerie en Guinée était entériné dès 2018 dans le cadre du Projet Boffa-Boké de la SMB, bien avant que UMS envisage le rachat d’Alteo.

La première des choses qui a motivé cette acquisition, c’est l’opportunité. UMS était déjà en contact avec Alteo pour leur vendre de la bauxite et apprenant leurs difficultés, nous avons décidé de faire une offre de reprise. Il y avait une synergie évidente entre Alteo et UMS compte tenu de nos activités en Guinée. Avec ce rachat, nous intégrons des compétences qui nous seront utiles pour nos projets en Guinée, notamment concernant le procédé Bayer où Alteo dispose de la meilleure technologie disponible au niveau mondial permettant d’avoir les plus hauts standards en termes de respect de l’environnement.

« Je me suis engagé à tout faire pour maintenir les 480 emplois d’Alteo. Cela passera notamment par la proposition de postes à l’expatriation en Guinée. »

Comment comptez-vous organiser l’activité d’Alteo entre la France et la Guinée, on parle notamment de réduction des effectifs dans l’hexagone… ?

Je me suis engagé à tout faire pour maintenir les 480 emplois d’Alteo. Avec notre plan de reprise, nous allons procéder à des transferts de compétences et des redéploiements d’effectifs, notamment dans la gestion environnementale où Alteo est en pointe. Cela passera notamment par l’intégration de certaines fonctions aujourd’hui sous-traitées et par la proposition de postes à l’expatriation en Guinée.

« Nous exporterons comme prévu notre première tonne de bauxite des gisements de Santou II et Houda le 16 juin 2021. »

UMS est actionnaire de la Société minière de Boké (SMB) qui, dans le cadre du consortium avec le singapourien Winning, travaille sur le projet Boffa-Boké, lequel a vocation à faire de cette région guinéenne une zone minière mondiale avec une augmentation des capacités d’exportation du Consortium de 10 millions de tonnes de bauxite en 2022 et 30 millions en 2024, un projet de chemin de fer en cours de construction… Quel est concrètement l’état d’avancement de ce projet ?

Malgré les difficultés logistiques et le risque sanitaire qu’a entrainé la pandémie en 2020, les équipes de la SMB ont su s’adapter et nous exporterons comme prévu notre première tonne de bauxite des gisements de Santou II et Houda le 16 juin 2021 avec cette nouvelle voie ferrée de 135 kilomètres, la première en Guinée depuis près de 50 ans. Traversant les régions de Boké et de Kindia, cette voie ferrée a pour vocation de relier les gisements de Santou II et Houda au terminal fluvial de Dapilon. Dédiée exclusivement au transport de minerai dans un premier temps, elle permettra à moyen terme d’acheminer également des marchandises pour contribuer à la diversification économique dans la région.

Le consortium va investir plus de 4 milliards de dollars dans ce projet, quels sont les défis qui se profilent dans sa réalisation ? Quelles en seront les retombées économiques selon les estimations faites ?

Le principal défi résidait dans la construction du chemin de fer, compte tenu qu’il inclut de nombreux ouvrages d’art dont 23 ponts et 2 tunnels, et nous sommes entrés dans la phase finale de sa construction. L’autre défi réside dans la construction d’une raffinerie d’alumine, un investissement de près de 800 millions de dollars US afin de disposer des meilleures technologies dans le domaine et s’assurer du respect des normes environnementales les plus exigeantes. Nous envisageons que la production de cette raffinerie devrait commencer d’ici quatre à cinq ans.

L’ensemble du Projet Boffa-Boké s’inscrit dans le développement de la Zone Économique Spéciale (ZES) initiée par l’État guinéen, avec à la clé nombreuses retombées au niveau national et local : création de plusieurs milliers d’emplois lors des phases de construction et d’opération avec de la sous-traitance pour des entreprises guinéennes, développement d’infrastructures en BOT, transferts de technologies, mise en place d’un corridor agricole de croissance, hausse des recettes fiscales de l’État guinéen et des collectivités locales…

« Les réformes du secteur minier réalisées en 2012-2013 ont réellement permis à la Guinée d’attirer les investisseurs internationaux et ont contribué au boom du secteur. »

Plusieurs experts ont souvent estimé qu’il était anormal que la Guinée, aussi riche en ressources, soit au stade de développement qu’on lui connait aujourd’hui, et ce indépendamment de la crise provoquée par le Covid-19 à travers le monde. Quelle analyse faites-vous la situation économique de ce pays ouest-africain ?

Je ne suis pas économiste et ne peux me prononcer sur une telle question. Ce que je peux dire en tant que chef d’entreprise, c’est que les réformes du secteur minier réalisées en 2012-2013 ont réellement permis à la Guinée d’attirer les investisseurs internationaux et ont contribué au boom du secteur, avec un réel impact en termes de créations de richesse et d’emplois depuis.

De plus, je note que l’Institut de Gouvernance des Ressources Naturelles (NRGI) soulignait dans son rapport 2019 sur la gouvernance des ressources naturelles que la Guinée était sur une trajectoire prometteuse en matière de gouvernance minière, avec des avancées notables dans la transparence sur l’attribution des titres, la publication des statistiques sectorielles, et la transparence sur les activités de la société d’État, SOGUIPAMI. Tout n’est sans doute pas parfait, mais je pense qu’il faut aussi souligner les réels progrès du secteur minier guinéen ayant contribué à la croissance et au développement du pays ces dernières années.

Concernant la SMB, les cabinets PWC et Cambridge Econometrics ont publié un rapport d’impact concernant le Consortium en 2018. L’étude d’impact a démontré que les investissements du Consortium SMB-Winning ont contribué au PIB guinéen à hauteur de 780 millions de dollars sur la période 2015-2017. Sur la période 2018-2020, la contribution est estimée à environ 2,3 milliards de dollars. Un impact très important a été relevé également en termes de création d’emplois : Sur la période 2015-2017, 28 700 emplois ont été créé grâce notamment aux importants investissements réalisés dans la construction d’infrastructures routière, portuaire et de production. À travers l’effet multiplicateur, les deux cabinets ont également estimé que 1 dollar investi dans le cadre des investissements miniers du Consortium crée 7,4 dollars dans l’industrie de l’agroalimentaire et biens de consommation sur cette période.

Cette étude illustre très concrètement l’impact positif en termes de retombées économiques et sociales des investissements du Consortium. Et ces retombées vont fortement augmenter avec les Projets Boffa Boké et Simandou désormais.

« La première production commerciale du projet Simandou sera atteinte en 2025. »

Justement, le consortium formé par SMB-Winning que vous présidez a également décroché en juin 2020 l’exploitation des blocs 1 et 2 du projet Simandou pour 14 milliards de dollars d’investissement. A quand le démarrage des travaux ? Que devrait-on attendre de cette exploitation et quel serait son impact sur l’économie et le développement du pays ?

En termes de calendrier, Winning Consortium Simandou (WCS) – dont UMS est actionnaire – est actuellement dans la phase études et travaux de recherche pour présenter une étude de faisabilité à l’État guinéen dans un délai de 30 mois suivant la date d’entrée en vigueur de la convention, en l’occurrence depuis juin 2020. Les travaux de construction de la mine commenceront immédiatement après que l’étude de faisabilité ait été validée et la première production commerciale sera atteinte en 2025.

Le projet Simandou est actuellement le plus gros projet minier au monde, avec un investissement du Consortium dont le montant est estimé à 15 milliards de dollars, dont 6 milliards de dollars d’investissements sur fonds propres. Dans le cadre des conventions passées avec l’État guinéen, le Consortium s’engage à exporter son minerai via le territoire guinéen, en construisant notamment une nouvelle voie ferrée d’environ 650 kilomètres, ainsi qu’une plateforme portuaire multimodale à Matakong dans la préfecture de Forécariah sur les côtes guinéennes. En parallèle, le Consortium compte également créer un corridor de croissance agricole le long de la voie ferrée ainsi que construire une aciérie en partenariat avec d’autres opérateurs une fois les études de faisabilité validées.

Au-delà des nombreuses retombées en termes d’emplois directs et indirects ainsi que d’achats locaux, le Ministère des Mines et de la Géologie estime que les revenus directs de l’État seront de l’ordre de 15,5 milliards de dollars US sur la durée de la convention, qui est de 25 ans.

Depuis sa création le Consortium s’attache à prendre en compte le contexte environnemental et social tout au long de la chaîne des opérations. Je ne crois pas à la viabilité d’un projet minier s’il n’est pas durable et respectueux des communautés locales et offrant la perspective d’un partenariat gagnant-gagnant pour tous. Ce que nous avons appliqué avec la SMB à Boké, nous l’appliquerons à Simandou avec WCS.

Quelles perspectives pour l’exploitation minière en Afrique en 2021 dans ce contexte de relance économique et d’opérationnalisation de la Zlecaf selon vous ?

Tout d’abord, je tiens à souligner que le secteur minier a plutôt bien géré la pandémie, car nous avons une forte culture de la sécurité qui a permis de faire face au risque sanitaire et préserver la santé et le bien-être des employés. Ensuite, chaque matière première a été affectée d’une manière différente en fonction du ralentissement ou non de la demande et de la disponibilité de l’offre. Il est donc difficile de dessiner un paysage global de la situation des miniers.

Concernant la Zlecaf, les études démontrent que l’intégration régionale entraine des bénéfices économiques pour les pays concernés à long terme. Tout le défi est désormais de la mettre en œuvre et cela représente un chantier administratif et politique considérable dans les prochains mois.