Dans une semaine, un procès pour crimes de guerre s’ouvrira au Liberia. Celui de Gibril Massaquoi, ancien chef rebelle sierra-léonais, surnommé « l’Ange Gabriel ». L’accusé, qui vit en Finlande depuis 2008, suivra les audiences par liaison satellite. En revanche, la cour sera délocalisée à Monrovia, puis en Sierra Leone pour entendre une centaine de témoins.

« Cette démarche est fascinante, car elle montre l’importance de rendre la justice au plus près de l’endroit où les crimes ont été commis », explique Kelsey Guthrie-Jones, avocat au sein de l’ONG suisse Civitas Maxima, à l’origine de la plainte contre Gibril Massaquoi. En tout, ce sont quatre juges, deux procureurs et un avocat de la défense qui feront le déplacement. Une décision qui bouscule les pratiques de la justice pénale internationale en cours, mais qui est saluée par les organisations des droits de l’homme.

« Elle est importante également, car elle permet aux populations locales de suivre la procédure juridique, d’être impliquées d’une manière ou d’une autre dans ce qui se passe, plutôt que d’avoir des informations par d’autres sources sur un procès qui les concerne mais qui se passe dans un lieu très éloigné », affirme Kelsey Guthrie-Jones à RFI.

Justice à domicile

Le procès de Massaquoi donne ainsi l’espoir aux victimes d’une justice à domicile. « Tous ceux qui ont commis des atrocités au Liberia doivent rendre des comptes. Il y a tant de victimes de guerre », déclare Yassah Gayflor, une ancienne victime, la correspondante de RFI en anglais.

Reste que, d’un point de vue administratif, le procès demeure placé sous la juridiction de la Finlande. Dix-huit ans après la fin de deux guerres civiles au Liberia, qui ont fait 250 000 morts, aucun tribunal spécial pour crimes de guerre n’a été créé pour traduire les personnes accusées pour ces faits. L’ex-président libérien Charles Taylor purge une peine de prison depuis 2012, mais pour des crimes commis en Sierra Leone, pas dans son propre pays.

Liberia, Sierra Leone, les deux conflits se chevauchent

Charles Taylor avait soutenu financièrement le Front révolutionnaire uni, (RUF), le mouvement rebelle sierra-léonais dont Massaquoi était un ancien commandant et porte-parole. Aujourd’hui âgé de 51 ans, l’homme a longtemps incarné l’horreur de la guerre civile en Sierra Leone, qui a éclaté au début des années 1990. Selon des témoins, il avait l’habitude de dire à ses victimes « avant de voir Dieu, vous devez d’abord voir un ange », d’où son surnom : « Ange Gabriel ». Mais jusqu’ici son rôle présumé dans les crimes au Liberia voisin était moins connu. Il a fallu la mobilisation des ONG, à l’instar de Civitas Maxima, pour que cela change.

Des années d’enquête

« Civitas Maxima travaille sur cette affaire depuis plusieurs années, avec la collaboration de notre organisation partenaire au Liberia, le Global Justice and Research Project. Nous avons présenté des preuves des crimes de guerre de Massaquoi au Liberia aux autorités finlandaises qui ont décidé d’ouvrir officiellement une procédure d’enquête contre Gibril Massaquoi fin octobre 2018 », rappelle Kelsey Guthrie-Jones, de Civitas Maxima.

En mars 2020, Massaquoi est arrêté à Tampere dans le sud de la Finlande, où il vivait en toute légalité depuis plus de dix ans. Le 1er février, son procès pour crimes de guerre s’était ouvert dans cette même ville. Mais, au lieu de déplacer plus de 80 témoins en Finlande, les juges finlandais ont décidé de transférer la cour à proximité des lieux, où  l’« Ange Gabriel » est accusé d’avoir commis des crimes.

Une protection dérangeante

Pourtant, le procès de Massaquoi ne rend pas tout le monde heureux. Il y a ceux, comme cette victime de guerre en Sierra Leone, qui réclament, aussi, justice. « Il est regrettable qu’il soit jugé pour des actes au Liberia, il aurait dû venir en Sierra Leone pour répondre à nos questions. C’est malheureux. D’autant plus que j’ignore ce qu’il a fait au Libéria. Gibril Massaquoi devrait être jugé en Sierra Leone parce qu’il est Sierra-Léonais. »

Mais l’ex-rebelle ne répondra jamais de ses crimes commis en Sierra Leone. L’immunité lui a été accordé en 2008, après avoir accepté de dénoncer ses anciens frères d’armes. Une protection qui dérange. Pour ce qui est de ses actes présumés au Liberia, Massaquoi nie les accusations et insiste sur le fait qu’il participait à des pourparlers de paix au moment des événements. Son procès durera jusqu’en juin, le verdict est attendu en septembre.

Avec RFI