.Mussa Zanzibar (le requérant) est un ressortissant de la République-Unie de Tanzanie (l’Etat défendeur). Au moment du dépôt de la requête, le requérant purgeait une peine de trente (30) ans d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable et condamné pour viol.

Dans sa requête, le demandeur a formulé trois allégations: premièrement, le tribunal de première instance a commis une erreur en le condamnant sur la base du témoignage d’un seul témoin sans se convaincre que le témoin disait la vérité; deuxièmement, le tribunal de première instance a commis une erreur en ne résolvant pas les contradictions et les incohérences des éléments de preuve à charge; et enfin, que le tribunal de première instance ne s’est pas mis en garde contre la nécessité d’une preuve hors de tout doute raisonnable avant de le condamner.

La Cour a observé que, conformément à l’article 3 (1) du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (le Protocole), elle devait, à titre préliminaire, déterminer s’il avait compétence pour entendre la demande.

Concernant sa compétence, la Cour a noté que l’Etat défendeur avait soulevé une objection à sa compétence matérielle. L’Etat défendeur a fait valoir que la Cour n’avait pas compétence pour connaître de la requête puisque le requérant l’invitait à siéger à la fois en tant que tribunal de première instance et en tant que cour d’appel.

S’agissant de l’allégation selon laquelle la Cour aurait été invitée à siéger en tant que tribunal de première instance, la Cour a affirmé que sa compétence, en vertu de l’article 3 du Protocole, s’étendait à toute requête qui lui était soumise, à condition qu’un requérant invoque une violation de droits protégés par la Charte ou tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’Etat défendeur. Même si le demandeur n’a pas précisé les dispositions particulières de la Charte ou de tout autre instrument international des droits de l’homme prétendument violé par l’Etat défendeur, la Cour a réitéré le fait qu’elle a compétence pour examiner les violations alléguées des droits de l’homme, même lorsqu’un demandeur ne préciser les articles de la Charte qui auraient été violés, pour autant que les violations alléguées impliquent substantiellement des droits protégés par la Charte.

En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle la Cour exercerait sa compétence d’appel en examinant certaines demandes déjà tranchées par les juridictions internes de l’Etat défendeur, la Cour a réitéré sa position selon laquelle elle n’exerce pas sa compétence d’appel à l’égard des demandes déjà examinées par les juridictions nationales. Dans le même temps, cependant, et même s’il ne s’agit pas d’une cour d’appel vis-à-vis des tribunaux nationaux, elle conserve le pouvoir d’apprécier le bien-fondé des procédures internes par rapport aux normes énoncées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État concerné. En examinant les allégations du requérant, qui impliquaient toutes le droit à un procès équitable, qui est protégé par l’article 7 de la Charte, la Cour a estimé que lesdites allégations relevaient de sa compétence matérielle. La Cour a donc conclu qu’elle avait une compétence matérielle et a rejeté l’objection de l’État défendeur.

Bien que d’autres aspects de sa compétence n’aient été mis en doute par aucune des Parties, la Cour les a néanmoins examinés.

La Cour a jugé qu’elle avait compétence personnelle puisque le 29 mars 2010, l’Etat défendeur a déposé la déclaration prévue à l’article 34 (6) du Protocole et cette déclaration permettait aux particuliers de déposer des requêtes contre elle conformément à l’article 5 (3) de la Protocole. La Cour a également noté qu’elle avait décidé que le retrait par l’Etat défendeur de sa déclaration, le 21 novembre 2019, n’affectait pas les requêtes comme la présente qui avaient été déposées avant que le retrait ne prenne effet le 22 novembre 2020.

En ce qui concerne sa compétence temporelle, la Cour note que l’Etat défendeur a déposé sa déclaration le 29 mars 2010 tandis que le jugement du tribunal de district de Chato, qui était leLa genèse de la cause du requérant a été prononcée le 6 octobre 2011. Étant donné que la requête a été déposée après que l’État défendeur eut déjà déposé sa déclaration, la Cour a estimé qu’elle avait compétence temporelle pour examiner la requête.

Quant à sa compétence territoriale, la Cour a noté que les violations alléguées par les requérants s’étaient produites sur le territoire de l’Etat défendeur. Dans les circonstances, la Cour a jugé qu’elle avait compétence territoriale pour connaître de l’affaire.

La Cour a donc jugé qu’elle était compétente pour examiner la requête.

En ce qui concerne la recevabilité de la requête, la Cour, habilitée par l’article 6 du Protocole, devait déterminer si les conditions de recevabilité, telles que prévues par l’article 56 de la Charte et l’article 50 du règlement de la Cour («le Règlement ), avait été rencontré. A cet égard, la Cour a examiné les deux (2) exceptions soulevées par l’Etat défendeur, relatives, d’une part, à l’exigence d’épuisement des voies de recours internes, et, d’autre part, au délai dans lequel la requête a été déposée.

Concernant l’objection due au non-épuisement des recours internes, l’Etat défendeur a soutenu que, bien que le requérant alléguait une violation de ses droits tels que prévus par la Charte, droits également prévus par sa Constitution, il n’y avait aucune preuve montrant que le requérant avait a déposé une requête constitutionnelle auprès de sa Haute Cour. Le défaut de déposer une requête constitutionnelle, a en outre soutenu l’État défendeur, était la preuve du non-épuisement des recours internes. La Cour, tout en confirmant que la règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux États la possibilité de traiter des violations des droits de l’homme relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de l’homme ne soit appelé à déterminer la responsabilité de l’État à cet égard, a jugé qu’un requérant est seulement nécessaire pour épuiser les recours judiciaires ordinaires. La Cour a ensuite réaffirmé sa position selon laquelle le recours constitutionnel, tel qu’il est défini dans le système judiciaire de l’État défendeur, est un recours extraordinaire qu’un requérant n’est pas tenu d’épuiser avant de saisir la Cour. La Cour a également noté que la cour d’appel avait rejeté l’appel du requérant le 10 mars 2014 et que la cour d’appel étant la plus haute juridiction de l’État défendeur, le requérant avait épuisé les recours judiciaires ordinaires. Compte tenu de ce qui précède, la Cour a rejeté l’objection de l’État défendeur alléguant le non-épuisement des voies de recours internes.

En ce qui concerne l’objection selon laquelle la requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable après l’épuisement des voies de recours internes, l’État défendeur a fait valoir qu’il avait fallu deux (2) ans après que la cour d’appel eut rejeté l’appel du requérant pour déposer sa requête. Il a donc soutenu que ce délai n’était pas raisonnable au sens envisagé dans le Règlement. La Cour a rappelé que ni la Charte ni le Règlement ne fixent un délai précis dans lequel une requête doit être déposée devant elle. Selon la Cour, tant l’article 56 (6) de la Charte que l’article 50 (2) (f) du Règlement font simplement allusion au fait que les requêtes doivent être déposées dans un délai raisonnable après l’épuisement des voies de recours internes ou la date à laquelle la Commission est saisie de l’affaire. » En conséquence, la Cour a jugé que le caractère raisonnable d’un délai de saisie dépend des circonstances particulières de chaque cas et devrait être déterminé au cas par cas. En l’espèce, la Cour a noté que la cour d’appel avait rejeté l’appel du requérant le 10 mars 2014 et que le requérant avait déposé cette affaire le 13 avril 2016. Une période de deux (2) ans et trente-trois (33) jours, donc , s’est écoulé entre le moment où le requérant a épuisé les recours internes et le moment où il a déposé sa requête. La Cour a également noté que le requérant avait déposé cette requête depuis la prison et qu’il avait conduit son affaire sans l’assistance d’un avocat. Compte tenu de l’incarcération du requérant et de son absence d’avocat, la Cour a jugé que la période de deux (2) ans et trente-trois (33) jours était raisonnable. La Cour a donc rejeté l’objection de l’État défendeur au motif qu’elle n’avait pas déposé la requête dans un délai raisonnable.

La Cour s’est également assurée que la requête avait réuni toutes les autres conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte et à l’article 50 du règlement avant de déclarer la requête recevable.

En ce qui concerne le fond de la requête, la Cour a d’abord examiné si la procédure interne impliquant le requérant était viciée en raison de l’appréciation partielle des preuves. Tout en admettant que les juridictions internes disposent d’une marge d’appréciation importante pour apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont présentés, la Cour a souligné qu’elle conserve un rôle dans l’appréciation de la conformité des procédures devant les juridictions internes avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme. Dans la présente requête, la Cour ayant examiné le dossier du procès du requérant devant le tribunal de district, la Haute Cour et la Cour d’appel ont conclu qu’il n’y avait aucune raison de modifier les conclusions des tribunaux municipaux. La Cour a donc rejeté l’allégation du requérant de violation de son droit à un procès équitable en raison d’une appréciation partielle des éléments de preuve.

Bien que le requérant n’ait pas spécifiquement plaidé une violation de son droit à une assistance juridique gratuite, la Cour a noté que le requérant n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de la procédure devant le tribunal de district, la Haute Cour ainsi que la Cour d’appel. Compte tenu de la prière du requérant tendant à ce que la Cour «rétablisse la justice là où elle a été ignorée», la Cour a examiné si le droit du requérant à une assistance juridique gratuite avait été violé.

La Cour a noté que l’article 7 (1) (c) de la Charte ne prévoit pas explicitement le droit à une assistance juridique gratuite. Néanmoins, la Cour a rappelé qu’elle avait précédemment interprété l’article 7 (1) (c) à la lumière de l’article 14 (3) (d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et a déterminé que le droit à la défense comprend droit à une assistance juridique gratuite. En l’espèce, la Cour a noté que le requérant avait été inculpé d’une infraction grave, c’est-à-dire de viol, passible d’une peine sévère – une peine minimale de trente (30) ans d’emprisonnement. Dans ces circonstances, la Cour a estimé que les intérêts de la justice justifiaient que le requérant aurait dû bénéficier d’une assistance juridique gratuite lors de son procès devant le tribunal de district et également lors de ses recours devant la Haute Cour et la Cour d’appel. Le fait que le requérant n’ait jamais demandé une assistance juridique ne dégage pas l’Etat défendeur de sa responsabilité. Au vu de ce qui précède, la Cour a jugé que l’Etat défendeur avait violé l’article 7 (1) (c) de la Charte, tel que lu conjointement avec l’article 14 (3) (d) du PIDCP, en raison de son défaut de fournir au requérant avec une assistance juridique gratuite

En ce qui concerne la demande de réparation du requérant, la Cour a reconnu que, bien que l’article 27 lui permette de «prendre les ordonnances appropriées» pour remédier à la violation des droits de l’homme, conformément à sa jurisprudence, elle ne peut ordonner la libération d’un condamné que dans des cas exceptionnels et circonstances impérieuses. En l’espèce, cependant, le requérant n’a pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui obligeraient la Cour à ordonner sa libération. La demande de libération du requérant a donc été rejetée.

Cependant, ayant conclu que le droit du demandeur à une assistance juridique gratuite a été violé, contrairement à l’article 7 (1) (c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14 (3) (d) du PIDCP, la Cour a conclu qu’il y a une présomption que le demandeur a subi un préjudice moral. En conséquence, la Cour a accordé au requérant la somme de trois cent mille shillings tanzaniens (300 000 TZS) à titre de compensation équitable.