La cheffe des droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété du sort des militants de l’opposition et de membres de la société civile arrêtés en marge de l’élection présidentielle d’octobre dernier en Guinée.
« L’arrestation et la détention de membres de l’opposition et d’activistes de la société civile sous de fausses accusations d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État, dans le contexte des élections présidentielles de l’année dernière, sapent gravement les fondements de la gouvernance démocratique », a déclaré la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet.
S’adressant aux membres du Conseil des droits de l’homme à Genève, Mme Bachelet a exhorté Conakry « à libérer toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et de participation, et à garantir des procès équitables aux personnes accusées d’infractions pénales ». Elle également appelé les autorités guinéennes à « accélérer les procès des détenus de droit commun » et à améliorer leurs conditions alimentaires et sanitaires.
Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU a ainsi réitéré son appel en faveur de « la libération des personnes particulièrement vulnérables, notamment les détenus âgés et malades, ainsi que les délinquants à faible risque ».
La Haut-Commissaire s’est dite préoccupée par la situation aux Comores, notamment par le rétrécissement de l’espace démocratique. Une situation qui se manifeste par la poursuite des restrictions aux libertés d’expression et de la presse, la détention continue et souvent longue de militants de la société civile et de membres de l’opposition politique, ainsi que les poursuites injustifiées de journalistes.
« Partout dans le monde, les gens manifestent clairement leur demande légitime de jouer un rôle dans l’élaboration des politiques », a pourtant rappelé Mme Bachelet, relevant qu’agir en fonction de cette demande est le seul moyen de gagner la confiance du public. « Et c’est aussi le meilleur moyen de mener des politiques qui sont basées sur des réalités vécues et améliorées par un retour d’information franc et constant », a-t-elle insisté, dans un message vidéo pré-enregistré en raison de la pandémie de Covid-19, à l’occasion de la présentation de son rapport annuel.
Hausse des abus au Mali l’an dernier
Au Mali, les services de Mme Bachelet se sont alarmés de la hausse des cas de meurtres et autres violations et abus graves signalés l’année dernière, ainsi que par la forte réduction de l’espace démocratique.
« J’encourage les autorités de la transition à agir rapidement pour que les auteurs présumés de graves violations des droits de l’homme, y compris au sein des forces de sécurité, soient poursuivis », a fait remarquer la Haut-Commissaire, préconisant des mesures immédiates pour renforcer la participation et le leadership civils dans l’espace politique, en mettant l’accent sur l’égalité des femmes.
S’agissant de la Corne de l’Afrique, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU s’est inquiétée des « allégations alarmantes de violations graves commises » par toutes les parties pendant plus de trois mois de conflit dans la région éthiopienne du Tigré.
Devant le Conseil des droits de l’homme, la Haut-Commissaire a déploré « des massacres, des exécutions extrajudiciaires et d’autres attaques contre des civils, y compris des violences sexuelles ». « Il est essentiel de mener des enquêtes crédibles sur toutes ces allégations, en veillant à ce que les auteurs de ces actes répondent de leurs actes », a dit Mme Bachelet aux Etats membres du Conseil.
L’ancienne Présidente chilienne s’est dit également « troublée » par les enlèvements et les rapatriements forcés de réfugiés érythréens vivant au Tigré, dont certains seraient aux mains des forces érythréennes. « Au moins 15.000 Érythréens qui s’étaient réfugiés sont portés disparus suite à la destruction de leurs abris. Associé à l’insécurité croissante dans d’autres régions d’Éthiopie, le conflit du Tigré pourrait avoir de graves répercussions sur la stabilité régionale et les droits de l’homme », a-t-elle dit.
La Covid-19 utilisée pour arrêter des opposants politiques en Ouganda
En Somalie voisine, l’inquiétude porte sur « les tentatives répétées de démanteler la protection juridique déjà faible accordée aux enfants et aux femmes, notamment en ce qui concerne la violence sexuelle et le mariage des enfants.
En Ouganda, les services de la Haut-Commissaire déplorent le fait que des directives présidentielles et d’autres règlements visant à lutter contre le coronavirus ont été utilisés pour arrêter et détenir des opposants politiques, des journalistes et des personnes perçues comme des voix critiques du gouvernement.
« Au cours du récent processus électoral, de nombreux partisans de l’opposition ont été tués et gravement blessés, tandis que des candidats de l’opposition, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes ont été arbitrairement arrêtés et détenus, maltraités – et dans certains cas ont disparu », a-t-elle noté.
Non loin de là et en Tanzanie, ce sont des allégations d’homicides illégaux, d’arrestations arbitraires et de détentions illégales, ainsi que de torture, qui ont été rapportées pendant et après l’élection présidentielle d’octobre dernier, notamment à Zanzibar.
Sur un autre plan, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU s’est également préoccupée par « les tentatives officielles apparentes de nier la réalité de la Covid-19 dans le pays – y compris les mesures visant à criminaliser la reconnaissance de la pandémie ». « Cela pourrait avoir de graves conséquences sur le droit à la santé des Tanzaniens », a-t-elle estimé.
Toujours en Afrique de l’Est, ce sont des tentatives d’enlèvements d’enfants albinos, qui ont été signalées au Malawi. Ces actes présumés seraient liés « à un marché d’organes du corps et ces parties corporelles sont utilisées dans des rituels ».
Autres sources de préoccupation à Lilongwe, la hausse significative des violences sexuelles contre les femmes et les filles, surtout lors de la fermeture temporaire des écoles l’année dernière. C’est dans ce contexte que le pays a constaté une « augmentation de 400 % des mariages d’enfants et des grossesses d’adolescentes dans certains districts ».
Mme Bachelet salue la libération de de 35 militants du mouvement Hirak en Algérie
En Afrique du Nord, des manifestations dans plusieurs provinces algériennes continuent de marquer l’anniversaire du mouvement pro-démocratique Hirak. « Je me félicite de la libération de plus de 35 personnes actives dans le mouvement Hirak », a dit Mme Bachelet. « Il ne fait aucun doute que des élections démocratiques justes et authentiques sont essentielles pour garantir l’autorité légitime des gouvernements et la confiance du public ».
En Egypte, il s’agit de la persistance des restrictions aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, notamment celles qui visent les défenseurs des droits de l’homme et d’autres militants.
Pénalisation inquiétante des ONG aidant les migrants en Europe
De l’autre côté de la Méditerranée, le discours présenté devant le Conseil a porté sur les mesures prises par plusieurs pays européens pour restreindre les ONG protégeant les droits des migrants. A ce sujet, une récente mise à jour de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) a recensé une cinquantaine de procédures pénales ou administratives engagées par l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, Malte, les Pays-Bas et l’Espagne depuis 2016 contre des acteurs humanitaires impliqués dans la recherche et le sauvetage en Méditerranée.
La plupart d’entre elles ont été engagées en Italie, et la majorité d’entre elles ont eu lieu depuis 2019. « Nous savons que seuls quatre navires humanitaires sont actuellement opérationnels en Méditerranée centrale, tandis que plusieurs autres ont été saisis ou empêchés d’opérer, ce qui suscite de graves inquiétudes quant à la sécurité des personnes sur l’une des routes migratoires les plus meurtrières du monde », a déploré Mme Bachelet.
Sur le même dossier des migrants, elle a rappelé que la police hongroise a effectué quelque 5.000 refoulements vers la Serbie au cours des deux derniers mois seulement.
D’une manière générale, le renforcement des contrôles aux frontières et l’utilisation des forces de sécurité pour arrêter les migrants augmentent encore les risques encourus par les personnes en déplacement dans plusieurs États. La découverte, le mois dernier, des corps calcinés de 19 personnes – dont au moins 14 migrants guatémaltèques, ainsi que leurs passeurs présumés – près de la frontière américano-mexicaine en est un exemple « frappant ».
« La militarisation de la gestion des frontières par l’Équateur, le Pérou et le Chili est particulièrement préoccupante dans le contexte de la poursuite du mouvement sans précédent des Vénézuéliens, dont on estime que 5,28 millions de personnes quitteront ou resteront hors de leur pays cette année », a fait valoir Mme Bachelet.
Mme Bachelet déplore les violations dans le Xinjiang
S’agissant de la situation en Chine, les militants, les avocats et les défenseurs des droits de l’homme – ainsi que certains ressortissants étrangers – sont confrontés à « des accusations pénales arbitraires, à des détentions ou à des procès inéquitables ».
Plus de 600 personnes à Hong Kong font l’objet d’une enquête pour avoir pris part à des manifestations, certaines en vertu de la nouvelle loi sur la sécurité nationale imposée par la Chine continentale à l’ancienne colonie britannique, a ajouté Michelle Bachelet.
Les rapports sur les violations, notamment la détention arbitraire, les mauvais traitements, la violence sexuelle et le travail forcé dans la région chinoise du Xinjiang doivent être évalués indépendamment, a indiqué la Cheffe des droits de l’homme. « Je suis convaincue que, grâce à notre dialogue permanent, nous trouverons des paramètres mutuellement acceptables pour ma visite en Chine », a dit Mme Bachelet à propos des négociations avec Pékin sur les modalités d’une visite.
S’attaquer aux inégalités et aux injustices systémiques aux Etats-Unis
Concernant la Russie, elle regrette l’entrée en vigueur, à la fin de l’année dernière, de nouvelles dispositions juridiques qui limitent encore davantage les libertés fondamentales, notamment les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association garantis par la constitution.
Sur les États-Unis, Mme Bachelet a salué les « nouvelles mesures prises pour mettre fin à plusieurs politiques migratoires qui violaient les droits fondamentaux des migrants et des réfugiés, notamment les décrets visant à mettre fin à la politique de séparation des familles ».
Elle a également encouragé Washington à « résoudre les problèmes qui subsistent, tels que la détention massive des migrants ».
Face à tous ces signalements, les dirigeants des pays sont appelés à prendre de nombreuses décisions difficiles dans cette période de turbulence actuelle. La participation est un droit – et c’est aussi un moyen de garantir une politique meilleure et plus efficace.
Pour la cheffe des droits de l’homme de l’ONU, il est temps d’accroître, et non de réduire, la transparence, de renforcer le débat dans un espace civique plus inclusif, et de mettre en place une gouvernance plus réactive, qui défende plus fermement les droits humains.
ONU Info