« La situation actuelle au Burundi est trop complexe et incertaine, pour pouvoir parler d’une véritable amélioration », ont alerté jeudi des enquêteurs de l’ONU.
Pour la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi, l’évolution en matière de droits humains dans ce pays depuis les élections de 2020 reste « confuse et empreinte d’incertitudes ».
« Des premiers gestes symboliques et ponctuels ont bien eu lieu, mais ces derniers, tout comme les déclarations d’intention du Président Ndayishimiye, ne sauraient suffire à améliorer durablement la situation », a expliqué Doudou Diène, le Président de la Commission.
Les enquêteurs onusiens attendent que ces annonces soient suivies par des actions concrètes qui fassent résolument progresser la situation en matière des droits de l’homme ». Car si depuis son arrivée au pouvoir, le Président Ndayishimiye s’est engagé à faire cesser les violations des droits de l’homme et à lutter contre l’impunité, « les abus ont continué à être commises, notamment à la suite des nombreux incidents sécuritaires qui ont eu lieu depuis l’été 2020 ».
« Cette situation a eu pour effet d’accroître la « chasse » aux rebelles, principalement dans les zones où les attaques ont eu lieu et dans les provinces frontalières », a déclaré M. Diène.
Des corps sans vie continuent d’être retrouvés dans l’espace public
Dans ces conditions, la répression visant les personnes soupçonnées de faire partie ou de soutenir les groupes armés s’est donc renforcée, et se fait généralement sur la base d’un profilage ethnique et/ou politique. « En conséquence, depuis septembre 2020, des militaires Ex-Fabs ainsi que des membres de leur famille, des jeunes, souvent d’origine Tutsie, et des membres des partis d’opposition, ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, d’arrestations et de détentions arbitraires souvent accompagnées de torture », a déploré M. Diène.
Chaque semaine, des corps sans vie continuent d’être retrouvés dans l’espace public et sont enterrés à la va-vite par les autorités. L’ampleur de ce phénomène qui s’inscrit dans la durée et le nombre important de ces « crimes de sang » dans le pays restent préoccupants.
« Le gouvernement doit reconnaître la gravité de la situation et y remédier », a déploré l’enquêteur onusien, relevant que dans cette politique de répression, des agents du Service national de renseignement (SNR), parfois appuyés d’Imbonerakure, ont été identifiés comme les auteurs principaux.
A ce sujet, il note que « les tentatives de mieux contrôler les Imbonerakure qui avaient eu lieu au début de l’été 2020 ont fait long feu ». Selon la Commission d’enquête, ces partisans de la Ligue de la jeunesse du parti au pouvoir continuent de « se substituer régulièrement aux forces de l’ordre et de sécurité », principalement dans les zones rurales.
Et beaucoup poursuivent ainsi « leurs agissements criminels ». « Les Imbonerakure ont même été loués et galvanisés suite aux incidents sécuritaires », a détaillé M. Diène, ajoutant que ces derniers continuent de prélever des contributions par la force auprès de la population.
Pour arriver à un climat d’apaisement, la Commission est d’avis qu’il faut garantir la liberté et la sécurité des opposants politiques. Alors que le Président Ndayishimiye a souligné que les partis politiques d’opposition ne devaient pas être considérés comme des ennemis, mais dans les faits, des membres de ces partis, particulièrement du Congrès National pour la Liberté (CNL), restent étroitement surveillés.
Des membres du principal parti d’opposition, le CNL, restent étroitement surveillés et plusieurs ont été arrêtés et détenus arbitrairement au cours des derniers mois. C’est le cas de l’ancien député de l’opposition Fabien Banciryanino, détenu depuis octobre 2020, pour avoir notamment dénoncé les violations de droits de l’homme commises sous le Président Nkurunziza. Il est ainsi accusé de « rébellion, dénonciation calomnieuse et atteinte à la sécurité intérieure de l’État », en raison notamment de ses propos critiques.
À cet égard, la Commission estime que la grâce présidentielle accordée à plus de 5.000 prisonniers est certes bienvenue vu la surpopulation carcérale, mais il est regrettable qu’en soient exclus les défenseurs des droits de l’homme et les opposants politiques.
La lutte contre l’impunité est une question de volonté politique
De plus, le recours à des mesures exceptionnelles de pardon, ne saurait remédier aux problèmes d’abus de la détention préventive et d’absence d’un système efficace de contrôle de la légalité de la détention, qui sont parmi les causes profondes de la saturation des prisons burundaises.
Le Chef de l’État a certes fait un geste positif en libérant les quatre journalistes d’Iwacu détenus depuis octobre 2019, et en demandant de trouver une solution pour que les médias suspendus depuis 2015 reprennent leurs activités. Toutefois, au même moment, la Commission indique avoir appris la condamnation à perpétuité de 12 journalistes et défenseurs des droits de l’homme en exil pour leur implication supposée dans le coup d’État raté de mai 2015.
S’adressant au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, M. Diène a toutefois rappelé ces « quelques signes encourageants » depuis l’arrivée au pouvoir, du Président Ndayishimiye. Le Chef de l’Etat burundais a d’ailleurs multiplié les promesses d’améliorer la situation des droits de l’homme et la gouvernance du pays, de promouvoir l’État de droit, de rendre le système judiciaire plus impartial, mais aussi de renforcer la réconciliation et l’unité des Burundais.
Mais certains « de ces propos ne sont pas dépourvus d’ambigüité ou peuvent parfois même se contredire », a-t-il précisé. « Au cours des derniers mois, il y’a enfin eu des premiers gestes en ce sens », a salué le Président de la Commission d’enquête, tout en rappelant néanmoins que « de simples gestes ad hoc et des déclarations d’intention ne sauraient suffire ».
Une façon de rappeler que la lutte contre l’impunité est une question de volonté politique puisque quelques Imbonerakure ont été poursuivis et condamnés pour des meurtres et autres crimes.
« Dépassionner la situation et laisser le peuple burundais avancer » – Ambassadeur Burundi
Plus globalement, la Commission d’enquête espère que les gestes entrepris par le Président Ndayishimiye sont les prémices « de changements profonds, de nature structurelle, qui eux se font toujours attendre ». Dans ces conditions, elle réitère ses recommandations antérieures au gouvernement burundais afin qu’il prenne des mesures structurelles garantissant « la bonne gouvernance, l’État de droit, l’indépendance et l’impartialité de la justice ».
Ainsi, la communauté internationale devrait au minimum être assurée de la réouverture du bureau pays du Haut-Commissariat aux droits de l’homme. « Nous insistons en outre sur l’importance de maintenir une vigilance objective sur la situation au Burundi qui demeure fragile », a conclu M. Diène, relevant que même si « le changement est possible, le chemin est encore long, le temps presse et le peuple burundais continue à souffrir ».
En réponse à ce tableau décrit par les enquêteurs onusiens, Bujumbura a réitéré « sa ferme opposition aux allégations mensongères et politiquement orientées formulées à son encontre ». Pour le Burundi, ce dialogue interactif intervient au moment où la situation dans le pays connait « d’énormes avancées significatives ».
« Le gouvernement s’attelle à l’amélioration de la bonne gouvernance, la santé publique, la justice pour tous et la lutte contre la pauvreté », a déclaré l’Ambassadeur Rénovat Tabu. Le Représentant permanent du Burundi auprès de l’ONU à Genève en appelle aux Etats membres du Conseil pour « dépassionner la situation et laisser le peuple burundais avancer ».
ONU Info