Définitivement acquitté par la Cour pénale internationale le 31 mars dernier, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo rentre à Abidjan ce jeudi 17 juin 2021, après dix ans d’absence.
■ Qui a organisé son retour ?
Le retour de l’ancien président fait l’objet de discussions officielles depuis novembre 2020 entre ses soutiens en Côte d’Ivoire, menés par son ex-ministre Assoa Adou, secrétaire général du FPI dit « GOR » (Gbagbo ou rien), et le Premier ministre d’alors, Hamed Bakayoko. Le 24 février, en pleine campagne pour les législatives, un « comité national d’accueil » est lancé, comptant treize personnalités censées représenter toutes les régions du pays. Par la suite, le dispositif est enrichi d’une « coordination générale » autour d’un autre ancien ministre, Léon Emmanuel Monnet, et de neuf commissions techniques et thématiques chargées de rencontrer les différents interlocuteurs institutionnels.
Dans celles-ci, les rôles ont été répartis entre les piliers de la famille politique de l’ex-chef de l’État, des délégués d’autres formations, en premier lieu le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), et les exilés récemment rentrés au pays, comme Justin Koné Katinan, qui a rejoint le porte-parole du FPI-GOR Franck Anderson Kouassi à la communication ; ou Damana Pickass, qui travaille à la mobilisation avec Marie-Odette Lorougnon. Le député de Yopougon et fils de l’ancien président, Michel Gbagbo, fait lui partie de celle en charge de l’hébergement.
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Le décès d’Hamed Bakayoko, le 10 mars, ralentit le processus, le temps que son successeur Patrick Achi, lui-même victime d’ennuis de santé, reprenne le dossier. Il est principalement entouré dans ce dossier du ministre en charge de la Réconciliation Bertin Konan Kouadio, dit KKB, et de celui de la Sécurité, le général Vagondo Diomandé.
Le 7 avril dernier, le président Alassane Ouattara affirme que « Laurent Gbagbo est libre de rentrer ». Il promet que les frais de voyage de son prédécesseur et des membres de sa famille seraient « pris en charge par l’État ». Il n’a pas été précisé par la suite s’il s‘agirait d’une mise à disposition d’un appareil de la République ou d’un vol commercial. Finalement, Laurent Gbagbo et sa seconde épouse « Nady » Bamba voyageront jeudi 17 juin en classe affaires par le vol régulier de la Brussels Airlines. Le vol SN229 doit quitter Bruxelles à 10h55, heure locale, et arriver à 15h45, heure d’Abidjan.
■ Quel accueil lui sera réservé ?
La question du « format » de l’accueil a grandement occupé les tractations entre le gouvernement et l’entourage de Laurent Gbagbo. Les « GOR » ont longtemps insisté pour que ce retour soit « une fête populaire », « avec tous ceux qui l’aiment ». « Nous avons le devoir de lui organiser un accueil qui va être mémorable » déclarait encore début juin Simone Gbagbo à des journalistes ivoiriens.
Finalement, face à l’opposition du RHDP, qui appelait à un retour « modeste », certaines associations de victimes de la crise post-électorale menaçant d’attendre elles aussi Laurent Gbagbo à sa descente d’avion pour exiger son arrestation, les organisateurs préfèrent maintenant parler de retour « visible ». « Ce que nous voulons, c’est que la Côte d’Ivoire soit en fête partout. Tout le monde n’est pas obligé de converger vers l’aéroport, mais quelques gens manifestent leur joie là où ils sont », expliquait ainsi Justin Koné Katinan la semaine dernière.
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Le gouvernement serait donc parvenu à une voie médiane avec ce retour « visible ». Il devrait se faire en présence d’officiels et de quelques dizaines d’invités, mais la venue de membres du gouvernement au pavillon présidentiel de l’aéroport mis à disposition pour l’occasion, est incertaine. Selon son entourage, des zones dédiées au public seraient prévues près de l’aéroport afin de permettre aux sympathisants de le saluer. Le cortège emprunterait ensuite un parcours jusqu’à la résidence choisie par l’ancien président, traversant plusieurs communes jusqu’au nord de Cocody.
■ Où va-t-il habiter et quel sera son programme ?
Laurent Gbagbo occupera une résidence ayant fait l’objet de travaux de sécurisation ces derniers mois. Il ne résidera pas avec Simone Gbagbo, ni avec sa seconde épouse, Nady Bamba, comme cela a pu être avancé. C’est dans cette résidence, payée avec ses indemnités, selon Jeune Afrique, qu’il rencontrera les délégations qui solliciteront des audiences, sûrement nombreuses dans les premières semaines de sa réinstallation.
Sa résidence dans son village natal de Mama (région de Gagnoa, ouest du pays) a été en partie réhabilitée ces derniers mois. Selon le chef du village, Laurent Gbagbo viendra dès samedi pour s’incliner sur la tombe de sa mère, décédée en 2015 alors qu’il était en procès à La Haye. À cette occasion, deux cérémonies d’accueil auront lieu, en place publique et chez lui. Selon la tradition bété, les notables lui souhaiteront la bienvenue et le laveront symboliquement pour le « purifier » après son séjour en prison. Il s’agira d’un premier bref passage à Mama, avec un retour prévu à Abidjan dimanche.
■ De quels avantages va-t-il bénéficier ?
Alassane Ouattara a annoncé que Laurent Gbagbo bénéficierait « des avantages et indemnités dus aux anciens présidents de la République ». En vertu de la loi de 2005 sur le statut des ex-chefs d’État, il devrait obtenir une allocation viagère d’un peu moins de 10 millions de francs CFA par mois (plus de 15 000 euros). À quoi il faut ajouter des indemnités de logement et des frais divers pour 7,5 millions de francs CFA. Au total : environ 17 millions de francs CFA, soit 26 000 euros par mois. Si ce barème est appliqué rétroactivement sur dix ans, ce qui devrait être le cas, Laurent Gbagbo récupérerait l’équivalent de 3,2 millions d’euros. Par ailleurs, son unique compte bancaire en Côte d’Ivoire, gelé depuis dix ans, devait être débloqué par les autorités.
En plus de l’aspect financier, l’ancien président a droit à du personnel. Un aide de camp, un chef de cabinet, un chargé de protocole, un chargé de mission et deux secrétaires. Du personnel de maison aussi (maître d’hôtel, cuisinier, jardinier…), ainsi que trois chauffeurs pour trois véhicules mis à sa disposition. Au total, une dizaine de personnes payées par la présidence ivoirienne. De même qu’un escadron de sécurité. La répartition de ces postes a fait l’objet de négociations entre le gouvernement et les représentants de Laurent Gbagbo.
À noter que le statut d’ancien président ne confère pas d’immunité sur le plan pénal, mais il octroie des procédures spéciales qui nécessitent notamment l’accord de l’Assemblée nationale.
■ Quelle est sa situation pénale ?
Laurent Gbagbo est toujours sous le coup d’une condamnation à vingt ans de prison et à 329 milliards de francs CFA d’amende (environ 500 millions d’euros), prononcée en janvier 2018 par la cour suprême d’Abidjan dans l’affaire dite « du casse de la BCEAO ».
Ses trois co-condamnés ont bénéficié en août 2018 de la grande amnistie décrétée par Alassane Ouattara. Cette ordonnance excluait du champ de l’amnistie les militaires et les membres de groupes armés emprisonnés pour crimes de sang, et les personnes « en procès devant une juridiction pénale internationale », au premier chef, donc, Laurent Gbagbo.
Ses proches estiment que son acquittement fait tomber cette exclusion et que l’amnistie s’étend donc logiquement à l’ex-président. Ils attendent toutefois un « geste politique » pour formaliser cela, tout en assurant que le sujet n’a jamais été un « préalable » à son retour. Un avis que ne partagent pas la majorité ni les organisations ivoiriennes de défense des droits humains, qui s’étaient opposées à l’amnistie et considèrent que la condamnation « est toujours valable », tout en reconnaissant qu’elle est « difficilement exécutable ».
Que faire donc de cette condamnation ? Quatre scenarii sont possibles. Si Alassane Ouattara étend l’amnistie à Laurent Gbagbo, la condamnation est effacée, l’ancien président récupère l’intégralité de ses droits civils et politiques, y compris, pourquoi pas, celui de se présenter à un scrutin. S’il préfère la grâce, la condamnation demeure inscrite au casier judiciaire, seule la peine n’est pas appliquée. Troisième possibilité, la moins plausible, les autorités écoutent les associations de victimes les plus virulentes et décident de faire exécuter le mandat d’arrestation. Une hypothèse « hautement improbable », pour le sociologue Fahiraman Rodrigue Koné, de l’Institut des études de sécurité, car elle « représente un plus grand risque pour le pouvoir du fait de son coût social et de l’impact désastreux qu’il aurait sur l’image de d’Alassane Ouattara ». Enfin, le président peut jouer le statu quo, et garder ainsi « un joker » dans son jeu, pour la suite des événements, et « obtenir le renoncement de Laurent Gbagbo au jeu politique », complète Fahiraman Rodrigue Koné.
■ Quelles relations avec Alassane Ouattara ?
Alliés contre Henri Konan Bédié dans les années 1990, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara sont devenus adversaires à l’accession au pouvoir du « woody de Mama ». Une rivalité qui a connu son paroxysme au moment de l’élection présidentielle de 2010, que chacun assure avoir remporté.
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Alassane Ouattara avait fait de la réconciliation un enjeu de son second mandat, avec notamment l’amnistie accordée à quelques 800 personnes en août 2018, dont Simone Gbagbo et les « exilés » ont bénéficié. Cet esprit de détente a été mis à mal par la campagne présidentielle de 2020 et le troisième mandat obtenu par un chef de l’État revenu sur sa promesse de passer la main, au terme d’un scrutin boycotté par l’opposition.
Depuis ce scrutin, les discussions ont été fructueuses : l’opposition, PDCI et FPI en particulier, a participé aux législatives du 6 mars, qui se sont déroulées dans le calme, et a fait son retour à l’Assemblée. Les tractations pour le retour de Laurent Gbagbo ont abouti, et le 7 avril, le chef de l’État a donc donné son feu vert.
Néanmoins, la relation entre les deux hommes demeure conflictuelle. Selon des proches, ils ne se sont pas parlés depuis 2011, et Alassane Ouattara aurait peu apprécié d’attendre en vain un coup de téléphone de Bruxelles. La communication se faisant par représentants interposés, dont Adama Bictogo au nom du parti présidentiel RHDP. L’annonce de la date du 17 juin par Assoa Adou le jour de l’anniversaire de Laurent Gbagbo, le 31 mai dernier, a aussi crispé les autorités, qui l’ont jugé « non consensuelle » avant d’en « prendre acte ».
À la question posée la semaine dernière d’une future rencontre entre les deux hommes, Justin Koné Katinan, porte-parole de Laurent Gbagbo, a répondu ceci : « Il y a des évidences, nous avons nos traditions. Ça se fera, les Ivoiriens le veulent. »
RFI