Un texte plagié est un texte issu du plagiat. Le plagiat est l’ « action du plagiaire. Emprunter à d’autres auteurs, des citations, des passages de quelque importance en les donnant comme siens ». Autrement dit, Plagiat égal copiage.
Il vous souviendra que la mise en place des chartes pour régir les transitions politiques est le fruit du constitutionnalisme de crise dans le néo constitutionnalisme africain. Elle est un acte émanant de la volonté des autorités de la transition, dans le but de se donner une orientation dans la conduite de la transition. Au-delà, elle permet de rassurer l’opinion nationale et internationale de la bonne volonté des nouvelles autorités.
Cette pratique est récente en Guinée. Le fameux Accord de Ouaga, du 15 janvier 2010, a servi de charte pour la transition de 2009-2010.
Depuis le vendredi 10 septembre 2020, un prétendu projet ou avant-projet de charte de transition circule au nom de la Guinée. Sans se référer à son l’auteur, nous nous faisons devoir d’éclairer la population guinéenne sur la maladresse de ce document afin de limiter l’intoxication de l’opinion publique dans cette période sensible de la vie de la nation guinéenne.
En 2014, précisément le 13 novembre, les autorités du Burkina Faso se sont dotées d’une charte pour régir leur transition. Plus tard, le Tchad a adopté une charte de transition et tout récemment, le Mali s’est doté d’une charte (1er Octobre 2020) pour conduire sa transition.
Après toutes nos vérifications, le prétendu projet de transition est le « copié, collé », sous forme de compilation, de ces textes burkinabé, malien et tchadien. A présent, nous vous proposons une étude comparative de ces quatre (4) textes (I) avant d’apporter quelques observations sur certains aspects (II).
- Etude comparative entre les différents textes
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 2 Le Président de la Transition occupe les fonctions de Président de la République et de Chef de l’Etat. Il veille au respect de la Charte de la transition. Ses pouvoirs et prérogatives sont ceux définis par la présente Charte.
Son mandat prend fin au terme de la transition, après l’investiture du Président élu suite à la prochaine élection présidentielle.
La charte de la transition du Burkina Faso,13 novembre 2014
Article 2 Le Président de la transition occupe les fonctions de Président du Faso et de Chef de l’Etat. Il veille au respect de la Constitution et de la Charte de la transition.
Son mandat prend fin au terme de la transition après l’investiture du Président issu de l’élection présidentielle.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 4 Le Président de la Transition n’est pas éligible à la prochaine élection présidentielle.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 4 Le Président de la transition n’est pas éligible aux élections présidentielle et législatives qui seront organisées pour mettre fin à la transition.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 5 En cas d’empêchement provisoire, les prérogatives et pouvoirs du Président sont exercés par le Premier ministre.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 11 Lorsque le Président de la transition est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier ministre.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 8 Le Conseil National de Transition (CNT) est l’organe législatif de la transition. Il est composé ainsi qu’il suit :
- – Cinquante (50) représentants des partis politiques ;
- – Quinze (15) représentants des organisations de la société civile ;
- – Trente-cinq (35) représentants des forces de défense et de sécurité.
- – Dix (10) représentants des Guinéens de l’Étranger ;
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 12 Le Conseil national de la transition est l’organe législatif de la transition. Il est composé ainsi qu’il suit :
– Trente (30) représentants des partis politiques affiliés au CFOP ;
– Vingt-cinq (25) représentants des organisations de la société civile ;
– Vingt-cinq (25) représentants des forces de défense et de sécurité.
– Dix (10) représentants des autres partis. Sa composition prend en compte les jeunes et les femmes.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 9 Les membres du CNT ne doivent pas être des personnes ayant ouvertement soutenu le référendum du 22 mars 2020. Ils ne doivent pas avoir fait partie des derniers gouvernements du Président partant. Le Président du CNT est une personnalité civile élue par ses pairs. Il n’est pas éligible aux élections présidentielle et législatives qui seront organisées pour clôturer la période de transition.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article13 Les membres du Conseil national de la transition ne doivent pas être des personnes ayant ouvertement soutenu le projet de révision de l’article 37. Ils ne doivent pas avoir fait partie du dernier gouvernement dissout de la IVème République. Son Président est une personnalité civile élue par ses pairs.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 11 Les membres du gouvernement doivent remplir les conditions suivantes :
- – être de nationalité guinéenne
- – avoir des compétences techniques et professionnelles requises
- – être au-dessus de tout soupçon.
Les membres du gouvernement de la transition ne doivent pas être des personnes ayant ouvertement soutenu le troisième mandat du Président partant. Ils ne doivent pas avoir fait partie du gouvernement dissout.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 15 Les membres du gouvernement doivent remplir les conditions suivantes : – avoir la majorité civile, – être de nationalité burkinabé – avoir les compétences requises – être de bonne moralité. Les membres du gouvernement de la transition ne doivent pas être des personnes ayant ouvertement soutenu le projet de révision de l’article 37. Ils ne doivent pas avoir fait partie du dernier gouvernement dissout de la IVème République.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 12 Les membres du gouvernement de la transition ne sont pas éligibles aux élections présidentielle et législatives qui seront prochainement organisées à l’effet de clôturer la période transitoire.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 16 Les membres du gouvernement de la transition ne sont pas éligibles aux élections présidentielle et législatives qui seront organisées pour mettre fin à la transition.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 13 Il est institué un Haut-Commissariat chargé de la Concorde nationale et des réformes institutionnelles et politiques. Dirigé par un Haut-Commissaire, membre du gouvernement, il comprend les commissions suivantes :
– Commission justice et concorde nationale ;
– Commission des réformes constitutionnelles et politiques ;
– Commission des réformes électorales et territoriales ;
– Commission audit et contrôle des comptes publics ;
– Commission de régulation des médias et de l’information.
Une loi organique fixe les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du Haut-Commissariat chargé de la Concorde nationale et des réformes institutionnelles et politiques.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 17 Il est créé auprès du Premier Ministre une Commission de la réconciliation nationale et des réformes, chargée de restaurer et de renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale.
Article 18 La Commission de la réconciliation nationale et des réformes est composée de sous-commissions dont notamment :
– la sous-commission vérité, justice et réconciliation nationale ;
– la sous-commission des réformes constitutionnelles, politiques et institutionnelles ;
– la sous-commission réforme électorale ;
– la sous-commission finances publiques et respect du bien public ;
– la sous-commission gestion des médias et de l’information.
Une loi organique fixe les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 14 L’initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au Président de la Transition et au tiers des membres du Conseil National de Transition. Le projet-proposition de révision est adopté à la majorité des 4/5ème des membres du Conseil National de Transition. Le Président de la Transition procède à la promulgation de l’acte de révision.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 19 Par dérogation aux dispositions prévues par le Titre XV de la Constitution, l’initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au Président de la transition et au tiers (1/3) des membres du Conseil national de la transition. Le projet ou la proposition de révision est adoptée à la majorité des 4/5ème des membres du Conseil national de la transition.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 16 Les instances de la période transitoire fonctionnent jusqu’à l’installation effective de nouvelles institutions.
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 21 Les institutions de la période de la transition fonctionnent jusqu’à l’installation effective des nouvelles institutions.
Le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée
Article 1 Outre les principes généraux de droit et à l’effet de mener à bien la période transition, la présente Charte privilégie le système de valeurs suivant :
- – La paix et l’entente communautaire ;
- – La vérité, le dialogue et la tolérance ;
- – L’unité, le travail et la discipline ;
- – La justice et l’inclusion ;
- – L’inclusion et la fraternité.
La charte de la transition du malienne du 1er octobre 2020
Article 18 En cas conflit d’interprétation des lois, la Cour constitutionnelle statue de plein droit
La charte de la transition du Burkina Faso, 13 novembre 2014
Article 25 En cas conflit, le conseil constitutionnel statue.
Les articles 1, 4, 6, 11 et 20 de la charte de la transition du malienne du 1er octobre 2020, ainsi que les articles 37 et 98 de la charte de la transition tchadienne ne sont pas épargnés dans cette manœuvre de plagiat.
- quelques observations importantes sur ce prétendu projet de charte
- Dans son article 18, qui correspond à l’article 25 de la charte du Burkina, la cour constitutionnelle est chargée de trancher les conflits d’interprétation. Au Burkina, la constitution n’avait pas été suspendue après la révolution. Ce qui expliquerait une telle disposition dans leur charte. Mais en Guinée, toutes les institutions constitutionnelles sont dissoutes avec la constitution. Donc une maladresse intolérable.
- On ne pressente pas un tel document avant la publication de la composition des membres du Comité Militaire qui a pris le pouvoir, ni avant une large concertation. A ceux qui répondront que c’est par le fait du hasard que ce document s’est retrouvé sur l’internet. Un tel document ne s’improvise pas. Il est minutieusement préparé et soigneusement gardé.
- Avec la suspension de la constitution, la charte doit contenir la forme de l’Etat, la devise de l’Etat, la langue officielle de l’Etat, l’hymne nationale, les sceaux et armoiries de la République, la laïcité de l’Etat, les libertés fondamentales, etc. Aucune disposition ne fait ne référence à ces éléments.
- Il est désormais reconnu dans la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO que les conditions d’inéligibilité contenues dans la charte de la transition du Burkina Faso et recopiées dans le prétendu projet de charte de la transition de la Guinée, sont contraires au Protocole de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne gouvernance dont la Guinée a déjà ratifié (Affaire CDP C. l’Etat du Burkina Faso). Avec une telle disposition, les potentielles victimes ont une forte chance de gagner un éventuel procès devant la même Cour. Les nouvelles autorités n’ont pas besoin d’ajouter une telle restriction, de façon officielle, dans une éventuelle charte de la transition, étant donné que la nomination des membres du gouvernement relève de la compétence discrétionnaire du Président de la transition.
Ces nombreux éléments, présentés ci-haut, nous permettent de douter de la crédibilité d’un tel document.
Par M. Abdourahamane DIALLO
Enseignant-Chercheur en Droit public ;
Chargé du cours de Droit constitutionnel, à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Général Lansana CONTE de Sonfonia-Conakry.