Après Amnesty International, le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme, plusieurs Organisations internationales de défense des droits humains dont Human Rights Watch ont appellent le Gouvernement guinéen au respect des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique en République de Guinée.
Dans une déclaration directement adressée au Premier Ministre Mohamed Beavogui, le jeudi 9 juin 2022, ces organisations exigent l’observation des droits et des libertés en République de Guinée.
Déclaration
Monsieur le Premier Ministre,
Nos organisations, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France), Agir ensemble pour les droits humains (AEDH) et Human Rights Watch (HRW), sont profondément préoccupées de la détérioration du climat politique actuel en République de Guinée et du choix pris par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), le 13 mai 2022, d’empêcher préventivement toutes manifestations de l’opposition et de la société civile en interdisant « toutes manifestations sur la voie publique, de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme jusqu’aux périodes de campagne électorale ».
Ces mesures restrictives du droit de manifestation risquent de générer davantage de tensions dans le pays et, en cas de rassemblements publics, de provoquer de possibles interventions violentes des forces de l’ordre, accompagnées d’un usage disproportionné de la force et d’un possible recours aux armes à feu.
La déclaration du CNRD a provoqué une profonde préoccupation chez de nombreuses organisations de défense des droits humains et conduit à des prises de position publiques – dont notamment celle d’Amnesty International, le 18 mai 2022 et celle de sept organisations internationales, le 25 mai 2022 – invitant le CNRD « à revenir sur sa décision d’interdiction des manifestations ». Le 30 mai 2022, le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a exhorté le CNRD à rétablir le droit de manifester.
Le 31 mai 2022, le CNRD a réaffirmé publiquement qu’« aucune marche ne sera autorisée aussi longtemps que les garanties d’encadrement ne seront pas réunies ».
La décision d’interdire toute manifestation durant une durée indéterminée sur toute l’étendue du territoire guinéen, sans justification précise, est une violation du droit à la liberté de manifester, un droit reconnu et garanti à toute personne en République de Guinée conformément au droit national et aux textes internationaux ratifiés par l’Etat. L’argument relatif à l’absence de garanties d’encadrement des manifestations en Guinée ne peut être évoqué car il revient aux autorités guinéennes d’en garantir la sécurité dans le respect des libertés et droits des manifestants.
La loi guinéenne, qui protège le droit de manifester, ne prévoit pas d’interdiction généralisée de toute manifestation durant une durée indéterminée mais une gestion au cas par cas. Elle demande aux organisateurs de manifestations d’aviser en amont les autorités locales de la tenue de tout rassemblement et ces dernières ne peuvent interdire une manifestation prévue que s’il existe « un danger avéré pour l‘ordre public ».
Au niveau du droit international auquel la Guinée est partie, l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) protègent le droit à la liberté de réunion pacifique.
Enfin, la décision d’interdire les manifestations contredit le discours du Président de la Transition du 5 septembre 2021 qui prônait l’instauration de la démocratie et le respect des libertés fondamentales dans le pays, ainsi qu’à la Charte de la Transition, signée le 27 septembre 2021 par le Président de la Transition, dont l’article 34 stipule que « les libertés d’association, de réunion, de presse et de publication sont garanties », ajoutant en son article 8 alinéa 2, qu’ « aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ».
Pour nos organisations, les mesures annoncées pour restreindre les rassemblements publics et les manifestations sont de nature à provoquer une montée des tensions dans le pays et des risques d’usage disproportionné de la force par les agents d’application des lois, mais également de possibles violences de ceux à qui on refuse le droit de manifester, dans un contexte où la Guinée a récemment connu un cycle de manifestations et de répressions ayant occasionné la mort de plus de 50 personnes entre octobre 2019 et juillet 2020, victimes pour la plupart des forces de l’ordre.
Jusqu’à ce jour, les auteurs et responsables de ces violations des droits humains n’ont été ni sanctionnés ni jugés. Il en est de même pour ceux des répressions plus anciennes, notamment en 2006, 2007 et 2009.
Les récentes mesures prises par le CNRD constituent, pour nos organisations, un recul de l’État de droit et ne visent qu’à annihiler toute contestation publique dans les mois à venir, dans un contexte de mécontentement de plusieurs acteurs politiques et de la société civile vis-à-vis de la transition en cours et de la décision de la maintenir 36 mois.
Dans un tel contexte de montée du mécontentement populaire et d’impunité des auteurs et responsables de violations des droits humains, nos organisations, inquiètes des risques que cette situation génère, exhortent les autorités guinéennes en place à :
- Respecter, en toutes circonstances, les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ;
- Revenir sur leur interdiction généralisée de toutes les manifestations publiques et rétablir, sans délai, le droit à la liberté de réunion pacifique ;
- Veiller à ce que tous les Guinéens puissent s’exprimer et manifester de manière pacifique, en toutes circonstances y compris en amont et durant les périodes électorales ;
- Assurer, dans le cadre des rassemblements et manifestations pacifiques, un maintien de l’ordre respectueux des normes et standards internationaux en matière de droits humains conformément aux Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique, aux Lignes directrices de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la liberté d’association et de réunion en Afriqueet aux Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.
Nos organisations vous prient d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre haute considération