Telle est la question de droit soulevée par l’extrait du discours du Président du Conseil national de la Transition (CNT) du 25 juin 2022. En effet, à cette date, dans son discours d’ouverture de l’Atelier de renforcement des capacités des membres du CNT sur des questions budgétaires, le Président du CNT a demandé, « avec insistance et exigence » – compte tenu « des invitations antérieures demeurées sans effet » – au Premier ministre de prendre des mesures de manière à venir procéder, à la présentation du Discours de politique générale du gouvernement, à la séance plénière de cette institution. Commentant l’extrait de ce discours, alors que certains concitoyens ont défendu avec vigueur l’inexistence du fondement juridique de l’obligation du PM de présenter au CNT son discours de politique générale, d’autres, plus réservés ont préféré se limiter – probablement par prudence ou indécision – à l’invocation de l’inopportunité et du manque d’intérêt de l’exercice. Etant entendu que ce dernier aspect est davantage politique que juridique, cette contribution se limitera au premier aspect.
La compréhension de ce premier aspect n’implique pas seulement l’étude de la question principale de la détermination du fondement de l’exigence de présentation du discours de politique générale (I), elle suppose également que soit présentée la question subsidiaire de l’opposabilité au PM, des dispositions en question de la loi organique portant Règlement intérieur du CNT (II).
I/ QUESTION PRINCIPALE DE LA DÉTERMINATION DU FONDEMENT JURIDIQUE DE L’EXIGENCE DE PRÉSENTATION À LA PLÉNIÈRE DU CNT, DU DISCOURS DE POLITIQUE GÉNÉRALE DU GOUVERNEMENT PAR LE PREMIER MINISTRE
Tout d’abord, en vertu de la Charte de la Transition (Charte), le Premier ministre «dirige, coordonne et anime l’action gouvernementale» (Charte, art. 51). Ensuite, ce «Gouvernement de la transition conduit et exécute la politique de la nation définie par le Président de la transition» (Charte, art. 54). C’est à ce titre que la Charte met à la charge du Premier ministre l’obligation de, « dans un délai n’excédant pas 30 jours à compter de la date de la nomination des membres du gouvernement, soumettre pour approbation, au Président de la Transition le plan d’actions de la feuille de route du gouvernement de transition». (Charte, art. 52). Est-ce à dire que dans la conduite et dans l’exécution de la politique de la nation définie par le Président de la transition, le Gouvernement et le Premier ministre n’entretiendraient des relations de collaboration fonctionnelles qu’avec le Président de la Transition devant lequel ils sont responsables (Charte, arts. 50, 53) ?
La réponse négative à cette question tient à un ensemble de considérations. Tout d’abord, le CNT qui « est l’organe législatif de la transition » est, en vertu de la Charte, investi de la mission « de suivre la mise en œuvre de la feuille de route de la transition » (Charte, art. 57). En outre, la détermination des modalités du « {suivi} de la mise en œuvre de la feuille de route de la transition » assignée au CNT par la Charte ne s’épuise pas par la seule lecture de la Charte. Elle s’opère en référence aux dispositions pertinentes de la loi organique portant Règlement intérieur du Conseil national de la transition.
En effet, le titre IV de ce Règlement intérieur fixe un ensemble de modalités du contrôle de l’action gouvernementale durant la transition et en vertu de la Charte. Tout d’abord, au titre de l’article 12 alinéa 5 du Règlement intérieur, la plénière qui est l’instance suprême de décision du CNT « reçoit le discours de présentation de la politique générale du Gouvernement, présenté par le Premier ministre ». (RI-CNT, art. 12.5). Aux fins de la détermination de l’obligatorité de la présentation du discours de politique générale, il convient de relever que l’alinéa 5 du Règlement intérieur retient une formule prescriptive « reçoit » et non une formule facultative « peut recevoir ». Si cette disposition ne consacre pas le délai de présentation de ce discours, l’exigence faite au Premier ministre de soumettre, « dans un délai n’excédant pas 30 jours à compter de la date de la nomination des membres du gouvernement, pour approbation, au Président de la Transition le plan d’actions de la feuille de route du gouvernement de transition» (Charte, art. 52) constitue un indice de détermination du caractère raisonnable du délai de présentation de ce discours de politique générale. Sans texte, il n’est pas déraisonnable de considérer que là où la Charte a requis un (1) mois pour l’approbation du Plan d’actions de la feuille de route par le Président de la Transition, huit 8 mois ne peuvent paraître raisonnables pour présenter le discours de politique générale du gouvernement au CNT, à compter de la formation de celui-ci.
Or, le CNT assume, en vertu de la Charte des missions (y compris de contrôle de l’action gouvernementale) pour l’exercice desquelles la présentation du discours de politique générale n’est pas sans intérêt, même sans vote. Ce dernier aspect n’étant qu’un des indices de la nature du régime politique qui ne neutralise pas l’intérêt de cet exercice en terme d’efficacité du contrôle de l’action gouvernementale en référence aux axes présentés et aux réformes projetées dans ce discours.
Peut-être, est-il nécessaire de souligner que l’exigence de lecture du discours présentation de la politique générale du gouvernement s’inscrit pleinement dans le cadre du contrôle de l’action gouvernementale. En effet – le propos sera exemplatif – au titre de l’article 60.a-1 du Règlement intérieur, « Les Conseillers nationaux peuvent poser, aux membres du Gouvernement, des questions écrites et des questions orales. Ceux-ci sont tenus d’y répondre oralement ou par écrit, immédiatement ou plus tard, à leur demande, selon un délai convenu avec le CNT ». (RI-CNT, art. 60.a.1). En outre, lorsqu’une « question d’actualité au Gouvernement est posée par tout Conseiller national », « La réponse est apportée, oralement ou par écrit, par le Premier ministre ou par un membre du Gouvernement ». (RI-CNT, art. 60.a-4-5).
Il résulte de ces dispositions et, plus spécifiquement, de l’article 12.5 du Règlement intérieur du CNT, que le Premier ministre assume effectivement l’obligation de présenter son discours de politique générale du gouvernement à la Séance plénière Conseil national de la transition. Supposer une interprétation différente viderait de tout sens les dispositions spécifiques de l’article 12.5 de la loi organique portant Règlement intérieur du CNT lues en harmonie avec l’esprit de l’article 57 de la Charte de la Transition.
- QUESTION ACCESSOIRE DE LA DÉTERMINATION DE L’OPPOSABILITÉ AU PREMIER MINISTRE DES DISPOSITIONS DE LA LOI ORGANIQUE PORTANT REGLEMENT INTÉRIEUR DU CNT
La détermination de l’opposabilité au PM de la loi organique portant Règlement intérieur du CNT n’est, en réalité, qu’un prétexte à l’exigence de la clarification d’une question de droit de nature à contribuer à la compréhension du sujet principal.
Peut-être est-il encore une fois nécessaire de commencer par relever une question essentielle afférente à la valeur des lois organiques (valeur du Règlement intérieur du CNT). En effet, au titre de l’article 9.5 du Code civil guinéen «Les lois prises au sens large obéissent à la hiérarchie suivante, dans l’ordre décroissant d’importance : la Constitution (donc la Charte de la transition) ; les conventions, accords et traités internationaux ; la loi ; l’ordonnance ; le décret ; les arrêtés ; les décisions ». (art. 9.5 du Code civil). Avant de poursuivre, il convient de souligner qu’en vertu de l’article 81 de la Charte de la transition, « sauf abrogation expresse, les dispositions de la législation et de la réglementation en vigueur non contraire à la présente Charte demeurent entièrement applicables ». (art. 81 de la Charte). Relevons au passage que les dispositions de l’article 9 du Code civil ne sont pas incompatibles avec celles de la Charte.
Dans le même sens, « Les textes de référence du juge constitutionnel africain francophone comprennent en plus { de la Constitution, des conventions internationales}, les lois référendaires, les lois organiques et les règlements des assemblées parlementaires (Séni Mahamadou OUEDRAOGO, La lutte contre la fraude à la constitution en Afrique noire francophone, Thèse, Univ. Boredeau IV, 2011, 68 p. ; CGD-OSIWA, « Recherche sur le constitutionnalisme en Afrique de l‟Ouest francophone (…) », 2008).
Relevons que même dans les Etats ayant exclu des lois organiques et des Règlements des Assemblées du Bloc de constitutionnalité, si ces lois organiques sont subordonnées à la Constitution, elles s’imposent aux lois ordinaires. D’où la consécration, dans ce genre d’ordre juridique, d’un contrôle obligatoire des lois organiques avant leur mise en application. A supposer même que le Règlement d’une Assemblée ne soit pas érigé en loi organique, lorsqu’il comporte « des dispositions qui mettent en œuvre une règle ou un principe constitutionnel », il est érigé en norme de référence du contrôle de constitutionnalité.
En conséquence, si les lois organiques ne sont pas explicitement citées dans la hiérarchie des normes présentée à l’article 9 du Code civil guinéen, c’est parce qu’elles ont une valeur matériellement constitutionnelle en droit guinéen ; en tous les cas, elles ont une valeur supérieure aux lois ordinaires. Telle est la raison pour laquelle elles sont soumises, avant leur mise en application, à l’exigence du contrôle de leur conformité à la Charte. En ce sens, suivant la Loi organique portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « La Cour constitutionnelle statue sur le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, de la Cour suprême, de la Cour des comptes, (…) quant à leur conformité à la Constitution ». (art. 21). Au surplus, « les lois organiques sont obligatoirement soumises à la Cour Constitutionnelle avant leur promulgation ». (Loi organique/N/2020/0011/AN portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, art. 25.1)
Or, à l’issue de l’adoption de ce règlement intérieur par la plénière du CNT, la Cour suprême à laquelle sont transférées les attributions de la Cour constitutionnelle durant la période la transition (Charte, art. 79) a été saisie et a rendu un avis de conformité avant que le Président de la Transition ne promulgue la Loi organique portant Règlement intérieur du Conseil national de la transition (CNT) (Décret 0203/PRG/CNRD/SGG portant promulgation de la loi organique LO/2022/001/CNT du 25 février 2022 portant Règlement intérieur du Conseil national de la Transition).
Au regard de ces considérations, la question de savoir si le Premier ministre a l’obligation présenter à la plénière du CNT le Discours de présentation de la politique générale du gouvernement dépend de la réponse à la question de savoir si les prescriptions de la loi organique portant Règlement intérieur du CNT, organisant une bonne partie des relations de ‘‘collaboration’’ fonctionnelle entre le gouvernement et l’organe législatif (CNT, art. 56 Charte), sont opposables au Premier ministre.
Quoique la question puisse paraître de peu d’intérêt, il convient, pour des raisons pédagogiques et d’intelligibilité, de répondre par l’affirmative. Autrement dit, effectivement, le Premier ministre est lié par les prescriptions de la loi organique portant Règlement intérieur du CNT. Cette réponse affirmative est confortée par la valeur constitutionnelle de cette loi organique là où même une loi ordinaire aurait été opposable au PM si celle-ci touchait aux questions concernant l’accomplissement de sa mission de direction, de coordination et d’animation de l’action gouvernementale (Charte, art. 51).
En définitive, la recherche du fondement juridique de l’obligation du Premier ministre de lire à la Plénière du CNT le Discours de présentation du discours de politique générale du gouvernement de transition ne s’opère pas dans la lecture isolée de la Charte de la Transition – quoique celle-ci ne manque pas d’indications générales – elle suppose une lecture globale des lois organiques pertinentes (en l’espèce, la loi organique portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; le même texte sur la base duquel Monsieur le Premier ministre interagit avec le CNT pour tout ce qui est lié à l’exercice de la fonction législative du CNT).
Jean Paul KOTEMBÈDOUNO
Membre du Conseil National de la Transition (CNT)
Rapporteur de la Commission Constitution, Lois organiques, Administration publique, Organisation judiciaire