« Il est parfois des coups d’État militaires que l’on célèbre, non pas parce qu’ils ouvrent les portes d’un avenir meilleur, mais parce qu’ils ferment celles d’un quotidien de souffrance » tweetait l’opposant togolais Nathaniel Olympio le 19 septembre 2021.

C’est ainsi que la majorité des Guinéens ont accueilli le coup de force du CNRD du 5 septembre 2021 comme une action salvatrice et libératrice après onze années de règne sans partage d’un pouvoir oppressif et répressif du régime Condé. La liesse populaire qui s’en est suivie, loin d’être un blanc-seing offert au CNRD, reposait exclusivement sur l’engagement contracté par la junte guinéenne de rompre avec les pratiques liberticides du passé.

L’on assistait donc à la naissance d’un contrat, à la fois moral et social, qui permettait au CNRD de combler, dès les premières heures de son avènement au pouvoir, son déficit de légalité par un soutien populaire de manière à assoir la légitimité dont elle était en quête et dérouler imperturbablement son agenda. Il lui a donc fallu dégainer son arme de séduction massive pour rassurer les Guinéens.

Et pourtant, en justifiant son putsch par l’urgence de rétablir l’État de droit et de sauver la démocratie, le CNRD se tirait une balle dans le pied dans le sens où le non-respect de ses engagements initiaux entrainerait inéluctablement une rupture de contrat et plongerait le pays dans une crise politique majeure, de l’ordre de celle de laquelle il a cru bon devoir l’extirper.

A un an jour pour jour du début de la transition, le constat est amer. Il est regrettable de voir que le Chef de la junte a allègrement violé le serment qu’il a prêté en ces termes : « Moi, Mamadi Doumbouya, Président de la transition, je jure devant le peuple de Guinée de préserver en toute loyauté la souveraineté nationale, de respecter et de faire respecter les dispositions de la Charte de la transition, la dignité humaine, les lois et Règlements de la République, de remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur de la Nation, de consolider les acquis démocratiques, de garantir l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national …», se rendant ainsi coupable de haute trahison.

En lieu et place du respect des engagements souscrits vis-à-vis du peuple de Guinée, nous avons assisté à un détricotage des faibles acquis démocratiques et à une reproduction, à l’identique, voire pire, des erreurs du passé. Le Colonel Mamadi Doumbouya se retourne aujourd’hui contre ceux-là même qui avaient enveloppé son coup d’État d’un voile de légitimité et reconduit les mêmes logiques qui ont conduit le pays dans le chaos et la désolation.

Après s’être gargarisé des concepts creux de refondation de l’État et de rectification institutionnelle, et vidé le processus de réconciliation nationale de toute sa substance en organisant la tragi-comédie des Assises nationales, toute la stratégie du CNRD aura consisté à esquiver la question centrale des exigences du retour à l’ordre constitutionnel et à faire de l’accessoire le principal. A court d’idées et de manœuvres dilatoires, nous en sommes pour le moment au volet « assainissement » comme autre sujet de distraction de la transition jusqu’à la prochaine trouvaille de la junte attendue impatiemment.

Que retenir du premier anniversaire de l’accession au pouvoir du CNRD dont la profession de foi et les actions symboliques des premiers jours avaient suscité de la sympathie et de l’espoir chez bon nombre de Guinéens ?

  • Le recours excessif à la force et l’utilisation d’armes létales pour le maintien de l’ordre ;
  • La douleur des familles endeuillées par la répression sanglante de l’Armée réquisitionnée à cet effet et l’absence d’enquêtes pour situer les responsabilités des auteurs des crimes et exactions;
  • Le traumatisme à vie des blessés par balles et des personnes torturées dans des camps militaires ;
  • Des journalistes convoqués dans des camps militaires et sommés de s’expliquer sur des contenus ;
  • La stigmatisation des populations de l’Axe Hamdallaye-Kagbèlen ;
  • L’amateurisme sans précédent qui caractérise la gestion de la chose publique ;
  • Le refus, dans le mépris et l’arrogance, de répondre à l’appel au dialogue des forces vives les plus représentatives de la nation ;
  • La définition et l’adoption unilatérales de la Charte de la transition puis sa violation systématique par le CNRD ;
  • La désignation autoritaire des membres du CNT ;
  • Le transfert au MATD de la responsabilité d’organiser les élections ;
  • La dissolution de plusieurs conseils communaux en violation de l’article 80 du Code des Collectivités locales en prévision des fraudes électorales en préparation ;
  • La récupération sélective et abusive du patrimoine présumé de l’État ;
  • L’arrestation par la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) de leaders politiques en violation de la présomption d’innocence et des droits de la défense et son instrumentalisation outrancière dans le but d’éliminer des adversaires politiques gênants ;
  • Le déclenchement de poursuites judiciaires fantaisistes contre des leaders politiques et de la société civile, dont certains leaders du FNDC ont été kidnappés, trainés à même le sol et enchainés, en plein jour, lors d’une conférence de presse à leur siège ;
  • L’entrave à l’exercice des libertés de réunion et d’association tel qu’il résulte de la dissolution arbitraire du FNDC et de l’occupation des sièges des partis politiques comme ce fut le cas pour les sièges de l’UFDG et l’UFR ;
  • L’interdiction sans aucune base légale de sortie du territoire ;
  • L’interdiction générale et absolue des manifestations pacifiques ;
  • Le plagiat éhonté de certains membres du gouvernement s’attribuant la paternité d’œuvres de tiers et qui, sous d’autres cieux, auraient démissionné ;
  • Last but not least, la non déclaration des biens des membres du CNRD et de son gouvernement en violation de la Loi du 04 juillet 2017, portant Prévention, Détection et Répression de la Corruption et des Infractions Assimilées et du Décret D/2020 portant contenu du formulaire de déclaration de patrimoine. Ces textes, reconduits par une Ordonnance du CNRD, montrent que le Premier Ministre a tort de dire qu’il y a un vide juridique. Il peut donc, dès ce soir, procéder à la déclaration de ses biens en parfaite légalité.

Le désenchantement est pour ainsi dire à la hauteur des attentes des Guinéens qui ne se font désormais guère d’illusions sur la volonté mal dissimulée de confiscation du pouvoir par le CNRD.

Les Guinéens ne pouvant se payer le luxe de laisser s’installer de nouveau au sommet de leur État une nouvelle dictature féroce, il nous appartient collectivement d’accentuer la lutte pour favoriser le retour à l’ordre constitutionnel.

Face à la trahison du CNRD, mettons en opposition notre soif de la démocratie et de la liberté.

Nadia Nahman Barry