C’est en 2010 que, le CNT, tirant les leçons d’une gouvernance peu vertueuse caractérisée par les détournements de fonds publics, l’enrichissement illicite, la corruption et une kyrielle d’autres infractions économiques, a introduit pour la première fois en droit guinéen, l’obligation de déclaration de biens visant des personnalités qui exercent certaines fonctions.
Étaient soumis, aux termes de l’article 36 de la Constitution de 2010, à l’obligation de déclaration écrite sur l’honneur de leurs biens:
– Le Président de la République;
-Le Président de l’Assemblée nationale ;
– Les premiers responsables des institutions constitutionnelles ;
– Le Gouverneur de la Banque Centrale;
-Les responsables des régies financières de l’État ;
Cette liste était, comme on le voit, limitative. Elle ne s’appliquait qu’aux personnes visées par la loi fondamentale. Or, il existe un grand nombre de hauts responsables qui devraient être soumis à la même obligation de déclaration de biens pour les mêmes motifs que ceux concernant les personnes visées à l’article 36 de la Constitution.
Le 4 juillet 2017, l’Assemblée nationale a adopté la loi 041 portant prévention, détection et répression de la corruption et des infractions assimilées.
Le législateur indique à l’article 27 de ce texte que « Les personnes visées à l’article 25 de la même loi disposent d’un délai de trois mois après leur prise de fonction ou de leur mandat et de trois mois à la fin de leurs fonctions ou de leur mandat pour le dépôt de leur déclaration de patrimoine auprès de la juridiction compétente. » Les personnes dont il est question sont celles qui ne sont visées par l’article 36 de la Constitution.
L’article 28 quant à lui dispose que:
» Un décret, pris en conseil des ministres, détermine les personnes assujetties à la déclaration de patrimoine, autres que celles visées à l’article 36 de la Constitution. »
Ce décret a-t-il été pris ? Nous n’en savons rien.
Il existe cependant un acte relatif à la déclaration de biens ou de patrimoine des personnalités visées à l’article 36 de la Constitution. C’est le décret n°072 du 30 mars 2020. À ce décret, il faut ajouter celui du 13 novembre 2020 portant contenu du formulaire de déclaration de patrimoine (décret n°286).
Il faut noter que les dispositions de l’article 36 de la Constitution de 2010 ont été intégralement reprises par l’article 49 de celle de 2020 qui était en vigueur avant la chute du M. Alpha Condé.
Questions :
– L’abrogation de la Constitution de 2010 et, plus tard, la suspension de celle de 2020 à la suite du coup d’État du 5 septembre enlèvent-elles toute valeur juridique aux deux décrets ci-dessus mentionnés ?
En répondant par l’affirmative, on aboutirait à la conclusion suivante: toutes les institutions, toutes les structures qui ont été mises en place soit par la Constitution de 2010, soit par celle de 2020 n’existent plus en droit. De même, toutes les lois qui ont pour base ces deux normes suprêmes sont tacitement abrogées. L’abrogation tacite ou implicite étant une modalité d’abrogation de la loi.
– S’il n’existe pas un texte réglementaire qui fixe la liste des personnes assujetties à la déclaration de patrimoine, autres que celles visées par l’article 36 de la Constitution, peut-on obliger ces personnes à déclarer leur patrimoine ?
La réponse est non. Puisque le décret n° 072 ne s’applique qu’aux personnes visées à l’article 36 de la Constitution. À ce niveau, on peut dire qu’il existe un vide juridique, sauf preuve du contraire.
Mais avec ou sans texte juridique, vide juridique ou non, la déclaration de patrimoine doit être une pratique ancrée dans la gestion des affaires publiques. Et si la thèse d’absence de base juridique devait l’emporter, il serait impératif alors que la Charte de la Transition soit amendée.
L’autre innovation que le constituant de 2010 avait apportée concernait l’imprescriptibilité de la corruption et des crimes économiques. C’est la même idée qui apparaît à peu près relativement aux infractions relevant de la compétence de la CRIEF puisque celle-ci est compétente pour connaître de tous les faits antérieurs ou non à sa création relevant de son domaine de compétence. Sans compter par ailleurs que la loi anti-corruption sur laquelle s’appuie constamment la CRIEF déclare que la corruption et les infractions assimilées sont imprescriptibles. Dès lors, la déclaration de biens ou de patrimoine ne devrait pas poser de difficultés.
Me Mohamed Traoré
Ancien Bâtonnier